Artiste inclassable de 35 ans, Lucas Beaufort rend hommage à la culture skate à travers ses œuvres. Entre ses détournements de couvertures de magazines, un documentaire à sortir en juin prochain et des collaborations à la pelle, Lense a souhaité lui poser quelques questions pour en savoir plus. Image d’ouverture ©Lucas Beaufort.
Tu as toujours évolué dans le milieu du skate, tu peux nous parler un peu de ton parcours ?
Je suis né à Cannes, ma mère m’a acheté mon premier skate quand j’avais 6 ans, je roulais sur les genoux avec. C’est comme si elle avait décelé qu’il y avait un truc pour moi là dedans. Tout vient de là, de cette passion du skate. C’est un milieu hyper inspirant. J’ai fait des études de commerce sans grande conviction et j’ai bossé 8 ans pour le magazine de surf et skate Desillusion, à la pub et au développement marketing. J’ai arrêté en 2013, quand l’art a commencé à prendre trop de place dans ma vie.
Qu’est ce qui t’a donné envie de sortir tes pinceaux ?
L’inspiration vient vraiment du milieu du skate. Quand je vois l’influence que ça a aujourd’hui, même au niveau de la mode : tout le monde est passé par le skate, avec des hauts et des bas, mais il y a quelque chose de fort autour de ça. J’ai rencontré des photographes, des artistes, des graphistes qui gravitent dans ce milieu. Il y a tellement de pépites là dedans que je voulais en être. J’ai aussi fait du foot quand j’étais gamin et je n’ai pas ressenti ça, cette envie de créer. Si j’avais la démarche du skate dans le foot je verrais les choses différemment, je ferais probablement des trucs à la Olive et Tom [rires]. D’ailleurs les Japonais sont hyper créatifs dans le foot.
Ça t’est venu tardivement cette passion du dessin ?
Complètement oui, aujourd’hui encore je ne sais pas ce qui s’est passé ce jour-là. Tu as l’impression d’être dans la bonne voie et, du jour au lendemain, tu te dis « merde mais qu’est ce qu’il se passe ? ». J’ai commencé à 26 ans, je n’avais jamais tenu un crayon de ma vie. C’est un concours de circonstances, un gros malentendu [rires]. Les fêtes de Noël qui approchent, l’envie de faire plaisir et de faire un truc original. Du coup j’ai fait un dessin pour mon frère, qui était affreux, je ne sais même pas où il est aujourd’hui ! Mon frère est censé l’avoir mais bizarrement je ne vois plus le cadre chez lui [rires]. Toute ma famille m’a encouragé alors que je suis sûr que si on regardait ce dessin aujourd’hui, on me dirait que ce n’est peut être pas un créneau dans lequel j’ai un avenir… Mais bon, ça s’est enchainé comme ça, ma belle famille m’a demandé de faire une toile pour m’encourager. Un an plus tard, je faisais ma première expo à Nice.
Et tu t’es mis à peindre sur des couvertures de magazines…
Tout est parti d’un délire, je ne sais même pas pourquoi j’ai fait ça. Un jour, je décide de peindre sur une couverture de Vice, je leur envoie, ils adorent et ils décident de m’abonner au magazine pour que je puisse dessiner à ma guise.
D’où viennent les personnages que tu peins ?
Ils étaient enfouis dans ma tête. Je faisais beaucoup de cauchemars avec ces monstres quand j’étais gosse et je m’en suis guéri. C’était chaud, hein ! Je bondissais du lit en hurlant qu’on me dévorait, ça a duré hyper longtemps. Je me souviendrai toujours d’un trip à Montpellier avec Desillusion, je devais avoir 23 ou 24 ans, on était tous dans un bungalow, terreur nocturne, je crois qu’on me tue à coup de couteau et là je me mets à pousser des cris et je tape mon voisin de lit, je le roue de coups, le pauvre. Tout le monde a serré, ils pensaient qu’il y avait vraiment quelqu’un dans le bungalow avec nous. Ils s’en souviennent encore…
Pourtant ils ont l’air plutôt bienveillant tes monstres…
Ils étaient malveillants dans mes rêves et aujourd’hui ils sont super cools avec moi. Ils n’avaient qu’une envie, c’était qu’on les découvre, ils forçaient le passage et maintenant qu’ils sont sortis de ma tête, ils le font sans la violence de mes cauchemars, plutôt en disant « enfin ! ». Maintenant je ne peux pas me passer d’eux, ça peut paraître étrange mais je les vois comme une petite famille, on cohabite. Ensuite, j’essaie d’avoir une démarche qui évolue, je ne me dis pas « ok j’ai trouvé cette idée de peindre sur les photos, je vais faire ça à vie ». Non, j’ai envie de les sortir des photos. J’ai une idée en tête, c’est de créer des costumes que je veux mettre en scène dans la vraie vie. Les faire avancer ces petits monstres, ils ont une histoire : ils viennent de ma tête, ils ont été posés sur papier et ils vont sortir du papier pour être dans la vraie vie. Il y a encore plein de trucs qui vont découler de ça.
Parle nous un peu de l’Asos Supports Talents : comment ça t’est tombé dessus et quel a été ton projet ?
C’est Asos qui m’a contacté l’été dernier pour me proposer de participer, j’ai cru que c’était un spam, pour tout te dire ! Je devais proposer un projet et si j’étais retenu, Asos le financerait. Du coup je leur sors un des projets que j’avais en tête : faire une tournée en Europe – Londres, Berlin, Stockholm et Helsinky – et faire une balance entre la nature et la ville, dure, grise. Normalement, je peins sur des couv’ ou des images tirées de magazines de skate. Là, j’ai décidé de prendre le contre-pied, de partir dans la ville et la campagne, de prendre moi-même les photos et de revenir au même endroit avec le tirage pour peindre dessus.
Du coup tu t’es mis à la photo ?
Je suis un touche-à-tout, je ne me considère pas comme artiste, je ne me considère pas comme skateur et donc pas comme photographe non plus. Tu me donnes un appareil photo, ça va m’intéresser, point. Je me nourris de tout : j’aime la vidéo donc j’ai fait un projet avec Billabong qui va sortir cette année, un road trip de Brisbane à Sidney à la rencontre des athlètes Billabong, tels que Mark Occhilupo, Creed McTaggart et Otis Carey. J’ai filmé moi-même, mais ça ne veut pas dire que je suis vidéaste. Je passe juste mes journées sur internet, sur Viméo, à regarder des vidéos, des pépites, hyper inspirantes. Pour le projet Asos aussi, j’ai réalisé ma propre vidéo.
« Once Upon a Place » from The LB Project on Vimeo.
Tu as quoi comme matos ?
Pour l’occasion, Asos m’a financé le Canon EOS 5DS avec un 24-35 mm de Sigma. Mais comme quoi, c’est l’œil qui compte : je devenais FOU, j’ai pris 1500 photos et je n’arrivais pas à obtenir ce que je voulais. Prendre une photo avec du bon matos, ce n’est pas hyper compliqué. Mais moi je photographiais un lac, par exemple, et quand je voyais la photo, elle ne me faisait rien. Ma démarche n’était pas de prendre des photos lambda et de mettre des personnages dessus mais de prendre des photos à détourner avec mes persos. Réinterpréter une photo en sachant dès le départ ce que j’allais y peindre.
Tu présentes bientôt ton documentaire sur la culture skate, Devoted, dis-nous en plus.
Pendant un an l’année dernière j’ai fait un tour du monde pour aller à la rencontre des personnes qui ont contribué à la promotion de la culture skate. C’est le projet qui me tient le plus à cœur. C’est la suite logique de tous les travaux que j’ai fait sur les mags de skate. J’ai grandi dans les années 90, les magazines de skate c’était le seul moyen d’information, j’en avais plein. De fil en aiguille ça a marché, tellement qu’aujourd’hui il y a des photographes qui me contactent pour me demander de peindre sur leurs images. À force de me connecter avec les magazines, je connaissais tout le monde, de tous les magazines de skate du monde : Japon, Corée, Australie, Nouvelle Zélande, Afrique du Sud, Etats Unis etc. Je me suis demandé ce que je pouvais en faire. Je suis un super fan du magazine papier mais il faut se rendre à l’évidence, ça ne sera pas éternel. En tout cas, on observe une vraie mutation dans les magazines de skate. Par exemple TransWorld, qui est avec Thrasher le plus gros média de skate international, a annoncé le mois dernier que le mag ne serait plus mensuel mais bimestriel…
DEVOTED (Trailer). from The LB Project on Vimeo.
C’est un témoignage pour les générations futures ou un hommage à la culture skate ?
Les deux ! Je suis allé à la rencontre de ces personnes, dans leurs bureaux, chez elles. Il fallait inclure des gens des médias mais aussi des skateurs qui ont eu des couvertures, leur demander si c’est toujours important pour eux aujourd’hui. J’ai des retours très variés, il y en a qui pensent que le magazine papier n’est plus si important, qu’il est même néfaste d’un point de vue écologique et d’autres qui défendent ça corps et âmes. Le documentaire sort à Los Angeles le 28 juin en avant première, je suis tellement stressé, toutes les personnes qui sont dans le film seront présentes, ça fout une pression… Je l’ai fait avec le cœur ce film, tout seul avec ma caméra. Je suis sur la fin du montage, la dernière partie du film est hyper émouvante. Il y a des larmes et tout ! Les mecs pleurent – des légendes du skate qu’on n’a jamais vu pleurer – ils pleurent dans MON film [rires].
On pourra voir le film en France ? Même si on est nul en anglais ?
Il y aura une avant-première en France, probablement au mois de septembre 2017, une version sous-titrée. Je t’en dirai plus quand ça sera plus concret.
Instagram : @lucas_beaufort
Site : www.the-lbproject.com
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