Anarchie au Royaume-Uni – Yan Morvan
À propos de l’événement
Ce qu'il faut savoir
Ce qui se passe en Angleterre à la fin des années 70 lorsque Yan Morvan y
débarque pour la première fois, défie l’entendement. Ce pays, “homme malade de
l’Europe“ ainsi que les milieux d’affaires le décrivent, peine à se remettre du choc pétrolier
survenu quatre ans plus tôt. Inflation galopante, chômage qui grimpe, déficit colossal, gel
des salaires, grèves à rallonge, c’est comme si les sept plaies d’Egypte post industrielles
s’abattaient sur la grande île, jadis cœur d’un empire “sur lequel le soleil ne se couche
jamais“ selon une illustre formule désormais obsolète. Le gouvernement travailliste en a
été réduit à faire appel au Fond Monétaire International pour éviter le naufrage et la
nation britannique, habituée aux succès, militaires, économiques, ou sportifs, consciente
de la place avantageuse qu’elle occupe dans l’Histoire, subit l’une de ses pires
humiliations. C’est à la faveur de ce marasme sans précédent depuis la fin de la seconde
guerre mondiale que Margaret Thatcher accède au pouvoir en Mai 1979 pour appliquer
un programme d’une rare brutalité. Sauf qu’en l’espace de quelques mois, le remède de
cheval imposé par son gouvernement est à deux doigts d’achever le malade. L’activité
chute de 10 %, le chômage est multiplié par deux, des pans entiers de l’industrie
s’effondrent, plongeant dans la précarité des centaines de milliers de familles privées de
droits sociaux, supprimés pour répondre aux exigences ultra libérales de la “Dame de Fer“.
Lorsqu’il franchit la Manche au mois de novembre de la même année, Yan Morvan s’attend donc au pire. Mais certainement pas à être entrainé dans une folle kermesse qui congédie l’idée que beaucoup se font d’un pays décrit comme une épave à la dérive en pleine déprime. Le Londres qu’il découvre ressemble plutôt à un “wonderland dystopique“ avec ses bandes de punks à crêtes, de skinheads nazifiés, de rude boys version two tones, de hooligans sur le pied de guerre, de mods juchés sur leurs scooters samplant le look de leurs glorieux aînés. S’offre au regard du photographe un vaste théâtre à ciel ouvert dont les acteurs paraissent sortir d’Orange Mécanique, le grotesque millénariste d’un Jérôme Bosch en plus. Dans les rues, s’égaillent en ribambelles tapageuses des jeunes improductifs qui entendent répondre au désespoir par la vitalité, pour qui l’ennui semble bien pire que la souffrance…
Exclus d’un système désormais incapable de les intégrer, les jeunes anglais se jettent eux aussi dans le néant au son d’un rock toujours plus féroce et hargneux. Tout a commencé trois ans plus tôt par le punk, avec dans le rôle du joueur de flûte un certain Johnny Rotten qui, la rage aux tripes, éructe ses « no future » une lueur de démence dans le regard. Dans son sillage se sont engouffrés des milliers d’ados conscients d’être les déchets non recyclables d’un modèle économique ne fonctionnant plus qu’en vase clos.
Nombre d’entre eux forment des groupes, ouvrant ainsi l’âge d’or du « do it yourself ». Un apogée de la débrouille, de l’indépendance assumée qui accouche d’une abondante production artisanale de disques, tous signifiant à des degrés divers un refus forcené du monde tel qu’il est. Si bien que jamais dans l’histoire, la musique n’aura autant permis de cimenter un sentiment de frustration commun à toute une génération privée d’avenir.
… Voilà l’essence de ce que révèle ces photos, une Angleterre jalouse de ses traditions, de son savoir vivre qui entend recycler à jamais un passé glorieux et une autre qui dans les convulsions de l’une des pires crises de son histoire cherche une raison d’être.