Les infamies photographiques de Sigmar Polke
À propos de l’événement
Ce qu'il faut savoir
Très tôt, Sigmar Polke utilise le medium photographique, à la fois de manière documentaire pour réaliser ses peintures, mais aussi de façon autonome. Il existe chez lui une contamination réciproque de ces deux domaines, au point qu’il est autant possible d’évoquer la dimension photographique de ses peintures que la dimension picturale de ses photographies. Son approche de la photographie est, dès le départ, artisanale et amateur. Polke a toujours tenu à développer et à tirer lui-même ses photographies, au mépris des règles en la matière (temps de pose hétérodoxes, usage de papiers et de produits périmés), pratiquant avec désinvolture la sous-exposition, la surexposition, comme la double exposition.
Pas de hiérarchie dans ces images où cohabitent les photos de famille, les autoportraits réalisés avec la complicité de ses comparses, les photos-souvenirs, les documents destinés à être traités picturalement, les expérimentations graphiques et chimiques, les photos de voyage, les images réalisées sous l’emprise de la drogue… Polke brouille à l’envie les taxinomies, les classifications
et les oppositions consacrées : documentaire et fiction, archive et mythologie personnelle, art et publicité, amateur et professionnel, expérimental et populaire…
Polke est affamé d’images, de toutes les images. Il reste attentif à leur grandeur comme à leur faiblesse, s’arrogeant le droit de les manipuler, de les maltraiter même, pour leur faire rendre ce qu’elles possèdent, du plus profond de leurs plis, de leurs textures et de leurs significations… Tous les moyens sont bons, jusqu’aux plus vils, jusqu’aux plus contestables : la copie, le télescopage,
le plagiat, le pillage et le sabotage… Son oeuvre se moque de la permanence et de la pérennité, il met joyeusement en avant l’altération, la conversion, l’instabilité, la transmutation des sujets et des formes. Tout ici est susceptible de se retrouver recouvert, dilué, oxydé, taché, pollué, corrompu, empoisonné…
Ses photographies, de la même manière, ne sont pas réductibles à un « style ». Elles en abolissent même la notion, avec une jubilation et une ivresse confondantes. Elles occupent au travers de leur hétérogénéité la totalité du spectre de la pensée photographique. Tout se passe comme si Polke minait de l’intérieur chacun des grands régimes modernes et contemporains de l’image : du formalisme post-Bauhaus, à l’approche documentaire d’un Walker Evans ou d’un August Sanders, de l’esthétique de la contre-culture (Fluxus, Punk, « trash ») à la tradition humaniste d’un Henri Cartier-Bresson.
Tout l’art de Sigmar Polke est dans ce plaisir à se saisir de ce qui arrive, d’être à l’affût de ce qui survient dans un processus. Vouloir l’accident, c’est reconnaître simplement que la « vérité » n’est pas à chercher dans les profondeurs de ce qui se cache, mais dans les balbutiements, les fêlures et les accrocs de ce qui se donne à voir. Les défaillances et les lapsus de l’image intéressent Polke, non sa relation à une quelconque vérité ou transcendance. Polke se fait un plaisir de renvoyer dos à dos aussi bien l’irrationalisme qui se targue d’être le seul à pouvoir exhiber la face cachée des choses, que le positivisme prétendant rendre raison de tout.
La peinture contaminée par la photographie, la photographie empoisonnée par la peinture : tout l’art de Polke se tient dans ce va-et-vient. Les infamies photographiques de Polke sont à cet égard exemplaires d’une position esthétique et éthique éminemment libertaire. Polke n’essaye pas de « sauver » la peinture par la photographie, ou de donner ses lettres de noblesse à la photographie au travers de la peinture, selon une rhétorique contemporaine bien rodée. Il amplifie, au contraire, la mauvaise réputation respective de chacune de ces soeurs ennemies.