Pour clôturer, du moins temporairement, la série de hot spots urbex, nous allons partir avec quatre lensers qui ont visité le mois dernier une destination assez mythique du genre: Prypiat en Ukraine.
Mais Prypiat, ça ne parle probablement pas à tout le monde. C’est quoi ? C’est où ? Facile: c’est une ville fantôme à 2km… de la centrale nucléaire de Tchernobyl.
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Cette fois, pas de questions/réponses, juste le ressenti des visiteurs au travers d’une sélection restreinte de leurs photos. Honneur à l’initiateur de ce voyage, Silphi:
« La catastrophe de Tchernobyl m’a beaucoup marquée dans ma jeunesse et cela faisait quelques années que je désirais me rendre sur place. Surtout voir Prypiat, ville évacuée en urgence au lendemain des évènements. J’ai finalement organisé ce voyage et ai eu le plaisir d’être accompagné pour cette expérience un peu particulière après en avoir parlé sur Twitter. Nous avons finalement été quatre. Quatre photographes, quatre visions et donc quatre témoignages.
L’organisation a été assez simple. Une fois le groupe constitué et les vols pour Kiev pris, il m’a suffit de contacter une agence de voyage locale spécialisée dans les déplacements sur Tchernobyl. Ensuite, une petite négociation supplémentaire nous a permis de pouvoir bénéficier d’une journée avec un groupe, puis surtout d’une journée en tour privé dans la ville de Prypiat avec un guide et un chauffeur.
Pour ma part, j’ai travaillé au numérique et à l’argentique et je vous livre ici deux photos prises au Mamiya C330F (un sublime twin lense vieux de 30 ans). Retrouver l’excitation de l’argentique a été un réel plaisir et a contribué à une certaine sublimation de l’expérience grâce au côté aléatoire du résultat.
Quant à ces deux photos, elles m’évoquent ce que j’ai pu ressentir sur place, un mélange d’émotions assez unique. J’étais partagé entre l’émerveillement de voir ainsi la nature reprendre ses droits et la contemplation d’un aperçu de ce que seront nos villes après l’extinction.
En 25 ans, les rues n’existent plus, les animaux et les végétaux ont repris leurs droits et il ne reste plus que les carcasses vides de ce qu’ont été les habitations. Cet abandon entraîne, quant à lui, un sentiment de mélancolie assez profond, persistant, tout particulièrement frappant dans ce jardin d’enfant où nous sommes entrés. Passé l’excitation de la découverte du lieu, la marche dans ces étages ravagés et parmi ces poupées abandonnées et mises en scène par quelque visiteur, rend bien cette impression de vide. Ce sentiment d’un temps révolu.
Et bien sûr, au dessus de tout cela, il y a le bruit du compteur Geiger qui nous accompagne partout, régulier comme un métronome, rythmant notre marche, comme pour nous rappeler que la zone est dangereuse, hostile à notre présence. Tout ceci, mêlé à l’exubérance de la nature et à cet abandon généralisé, donne clairement l’impression que l’homme est passé et a raté sa chance et que, de ce fait, il n’est plus le bienvenu. »
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La suite avec Maxime, notre monsieur Livres :
« Le masque à gaz est un petit peu l’emblème de ce séjour, à mes yeux. Il y en avait partout, en grande quantité. C’était assez surréaliste et effrayant de s’imaginer qu’effectivement 24 ans plus tôt ce masque était utilisé par un enfant.
Les auto-tamponneuses sont un symbole de l’enfance pour moi, elles évoquent beaucoup de moments que les gens ont dû passer dans ce lieu. Et en voir là, encore en place, me rappelle que cette ville est figée à jamais.
La piscine est un lieu emblématique pour beaucoup de gamers, car elle évoque le jeu « Modern Warfare » dans une certaine mission, c’était juste un clin d’œil pour faire preuve d’un peu de légèreté. »
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Au tour de Matthieu de nous livrer ses impressions:
« Pour moi, cette photo représente très bien ce qu’est vraiment Prypiat (au-delà de ce qu’elle représente dans l’imaginaire collectif): une ville encore debout, qu’on pourrait, de l’extérieur, toujours croire habitable, mais qui se dégrade de l’intérieur depuis son évacuation voilà 25 ans.
Cet alignement de chaises n’est sans doute pas dû au hasard. C’est pourtant une excellente représentation des différents stades par laquelle la ville est passée: d’une cité vivante et solide sur ses bases à un endroit vidé de ses habitants en proie à un délabrement inexorable.
J’ai shooté plusieurs dizaines de couloirs dans les bâtiments qu’on a visité, mais c’est une des seules photos qui rende de façon satisfaisante ce que je voulais montrer: des couloirs remplis de détritus, d’objets laissés à l’abandon, de pièces semi-démolies alternant ombre et lumière.
Il y a un mélange bizarre d’excitation et de retenue à progresser dans ces immeubles abandonnés que l’on a vu en photo tellement de fois et un léger malaise quand on se prend à réfléchir à ce qui s’est passé sur place. C’est à la fois enivrant et glauque.
Évidemment, il manque tout le côté sonore de ces déambulations, les gravats et les morceaux de verre qui crissent sous les chaussures et le bip bip régulier du compteur Geiger pour rendre complètement ce qu’on peut ressentir sur place.
LA photo classique de Prypiat. La grande roue, dans « Amusement Park ». Contrairement à mes comparses gamers, ça n’évoquait absolument pas une scène de Call of Duty mais simplement le symbole de cette cité abandonnée, vue et revue, sous tous les angles dans les magazines, sur le net… D’ailleurs, cette sur-exposition médiatique de la roue lui enlève beaucoup d’impact lorsqu’on arrive sur place, en passant devant le stand d’auto-tamponneuses (un autre classique).
Du coup, j’ai essayé de changer un peu le point de vue classique qu’on trouve sur beaucoup de photos, avec la roue entière vue de loin. Je me suis placé vraiment à ses pieds, pour la prendre dans toute sa hauteur, la rendre plus impressionnante. Et j’avoue avoir cédé aux sirènes de la dramatisation en ce qui concerne le ciel en arrière-plan. »
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La conclusion à Pierre, un des petits nouveaux de la team:
Même si je ne suis pas satisfait par le cadrage, cette image représente bien la myriade de petits objets qu’on retrouve partout dans Prypiat. Je ne m’attendais pas à autant de détails dans un lieu aussi vaste.
J’aime imaginer que cette image représente un moment de l’évacuation qui a mal tourné. Non non je ne suis pas un psychopathe, juste que ça collait bien à l’ambiance parfois oppressante du lieu.
En direct du Parking de l’hôtel à Tchernobyl par un soir de pleine lune. Bonus sonore : les meutes d’animaux sauvages qui nous ont fait rentrer bien vite! »
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Merci à vous quatre pour ces témoignages. Il est clair qu’une telle destination fait moins rêver de vacances mais c’est ça aussi, les Hot Spots, des lieux chargés d’Histoire(s).
(Edit de Silphi) : en conclusion, je dirai que, même préparés à ce que nous allions voir sur place, par ce que nous avions chacun pu glaner sur le net, la surprise a été totale pour chacun d’entre nous. L’expérience sur place va bien au delà de ce à quoi nous nous attendions et, en dépit du danger inhérent à l’endroit, ces « vacances » se placent très haut sur la liste des différentes destinations que j’ai pu faire.
Pour celles et ceux qui seraient intéressés pour aller là bas, n’hésitez pas à me contacter.
40 commentaires
Ajouter le vôtreBonjour,
Je suis passionné de lieux abandonnés. Je compte bien m’y rendre fin mars 2016, mais auparavant j’aimerais savoir par quelle agence passer pour s’y rendre? J’ai beau chercher sur Internet, je ne trouve pas!
Merci d’avoir pris le temps d’avoir lu mon message, en espérant obtenir une réponse de votre part! Votre site est bien fait, bravo!
Cordialement,
Anthony
[…] On risque de se retrouver dans la même situation qu’il y a 25 ans à Tchernobyl. Après mon voyage là-bas j’ai un sentiment bizarre à la vue du même genre de photo prise à la volée depuis un […]
[…] des adresses de restaurant à Kiev. Après en avoir écumé quelques-uns avec mes compères de la doubitchou team durant notre voyage à Tchernobyl je voulais lui donner la meilleure adresse qu’on a […]
[…] Hongrie passe au rouge.(Je vois tout à fait le nettoyage de Tchernobyl dans ces […]
Wow, ça donne envie et ça rend extremement jaloux aussi !
J’pars m’acheter du matos et les billets xD
Très chouette article et, Messieurs, superbe aventure!
Je veux en être sur le deuxième voyage!
[…] de paraître sur l’excellente communauté de Lense.fr un article sur la ville de Prypiat en Ukraine. Certaines images ont été réalisées par mes soins […]
mes « expéditions urbex » se limitant à la ferme abandonnée de mes parents, je suis sans voix. (et hasard ou pas je viens de tomber là dessus. http://vimeo.com/3624989
Pour l’argentique tu risque surtout d’obtenir des bandes blanches mais faut un sacré taux de radiations !
Au risque de faire le rabat-joie de service, le problème avec ce spot c’est que c’est du vu et du re-vu pour qui s’est intéressé, même de loin, a des photos d’urbex auparavant.
Superbe, merci à vous de avoir ramené ces belles images.
En ce qui concerne l’argentique, on m’a dit que dans certaines zones la radioactivité faisait jaunir la peloche, mais ces zones sont peut-etre pas visitable…
Photo vraiment tres sympa et l’article vient vraiment completer les images, bravo a vous 😀
Oui, mais c’est pas la taille (de la photo) qui compte! :p
Je regrette que le site de Lense ne permette pas de voir les photos en plus grand format alors qu’elles le méritent. C’est un peu dommage.
ça c’est du hot spot… vraiment fascinant, je vous envie ! Bravo à vous 4.
Pour le travail de Guillaume Herbault, concernant Tchernobyl, je vous conseille :
http://www.retouratchernobyl.com/
et « l’étrange Histoire » d ‘Elena Filatova http://www.consumedland.com/elena/index_fr.html
qui a été ma première approche sur le lieu, pendant quelques longue soirée. the night time is the right time 😉
Je rejoins Josie sur ce point : ces petits bouts de délabrement bien choisis m’enjoignent à vouloir en voir plus et découvrir l’entièreté des ravages de ce drame.
Il y a une forme de poésie surnaturelle qui surgit des images, alors que tout est bien réel, que ce sont des moments vécus qui ont conduit à ces scènes.
Au-delà des images, qu’est-ce qu’on ressent en arrivant sur place?
Superbes expériences, superbes ambiances, superbes photos. Superbe tout simplement.
Merci les gars pour ce voyage.
« La catastrophe de Tchernobyl m’a beaucoup marquée dans ma jeunesse »… mmh Silphi, un rapide calcul me permet d’évaluer que tu étais agé de … 15, non? 20 ans?
Ca donne terriblement envie d’y aller, malgré tout.
Pour ceux qui ne connaissent pas l’histoire de la centrale nucléaire de Tchernobyl :
http://www.maxime-stange.com/blog/?p=38
très très chouette ce billet !
j’adore.
🙂
Superbes photos et jolis textes. Bravo les mecs !
C’était juste génial de découvrir ce lieu
[…] Ce billet était mentionné sur Twitter par Lâm HUA, lense, Géraldine PUEL, Olga Salaud, Claire Gothié et des autres. Claire Gothié a dit: RT @lensefr: [@bintz] Aujourd'hui dans Hot Spot: la ville fantôme de Prypiat http://bit.ly/diFOSP […]
Tant qu’on est dans le sujet, un reportage vers une expo présentée à Visa pour l’image cette année: http://bit.ly/bUfyqb
Ca doit être vraiment très impressionnant… :s
Je confirme l’edit de Silphi: même « préparés », le ressenti est vraiment incroyable quand on est sur place…
WANT
Le Japon, la Russie… Les prochains Hot Spot sont dans la merde 😛
Merci à toi pour le lien au fait :p
D’ailleurs Lam tu m’avais parlé du spot a Nha Trang d’un village abandonné (plutot : jamais habité), et j’y suis allé en septembre, avec des potes on a pris des scoots et on y est allé.. résultat : Y a bien trop de gardes autour pour y pénétrer, mais ca avait l’air bien sympa quand meme! (c’est aussi un endroit sympa pour se faire assassiner discretement la nuit aussi)
Ah mince, à l’époque où nous y avons été, il n’y avait personne…
Non j’avais 9 ans mais j’avais vraiment trouvé ça choquant.
En arrivant sur place, la première chose qui m’a choqué, c’est cette omniprésence de la nature en fait.
Tu as pas mal de photos sur les flickr des concernés, potentiellement en plus grand 😉
Tout de même! :p
Lense, c’est de la photo avec un GRAND f je te signale o/
Oui, pas forcément jaunir, mais le rayonnement intense peut surexposer une petite partie de la pellicule. Mais en effet, ce sont des zones encore difficilement habitables. (genre la Red Forest autour de Prypiat)
crois-moi la taille compte!
si tu pouvais aller à l’expo Depardon à la Bibliotheque Nationale de France, tu saurais que la taille compte. :p
Heu… Et alors ?
On doit s’arrêter de respirer parce que ça a déjà été fait ?