Suite de l’article sur son livre 7 minutes de plaisir.
Eddy Brière a accepté très gentiment de m’accorder une (looongue) interview pour votre plaisir.
Tout d’abord, je vous le présente, je lui ai fait subir ce qu’il fait subir à tout le monde :
Eddy Brière (photo : Maxime Stange / Lense.fr)
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\ Bonjour Eddy, est-ce que tu peux me raconter comment tu es venu à la photo, ton cursus, et ce qui t’a motivé ?
Initialement, je ne suis pas photographe, J’ai fait des études de physique pour me tourner rapidement vers la robotique et l’informatique. C’est lors d’une mission en informatique de 4 mois à Singapour que j’ai acheté mon premier appareil photo. Là bas, j’ai commencé à faire des photos de touriste. Très vite, je me suis aperçu que la photo de reportage n’était pas pour moi, trop timide. Tu ne peux pas faire des images sur quelque chose que tu appréhendes. Il faut il aller à fond, et j’admire les grands reporters pour ça.
J’ai besoin de sentir les gens complices. Je me suis donc tourné rapidement vers le portrait et essentiellement de femme. D’ailleurs j’ai toujours été fasciné par les femmes de la mode. Celles de Peter Lindbergh notamment. Lui allait au delà de traiter la femme comme un support à vêtements, il avait ce côté « cinéma » que je trouvais très intéressant. C’est à partir ce de moment que la passion de la photo a commencé à s’installer.
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\ Comment le projet du livre a-t-il été apporté ?
Ce qu’il s’est passé pour le livre, c’est qu’à l’époque je travaillais pour les éditions Danger Public (groupe La Martinière). Ils m’avaient repéré sur Internet. Ils aimaient bien mes portraits et le traitement de l’image. Du coup, ils m’ont proposé de commencer avec ces quatrièmes de couv’. Ça a rapidement dévié sur les couvertures.
Un jour, Philippe Moreau (Directeur éditorial) m’a proposé de faire un livre. Je lui ai proposé cette idée : « Écoute, il y a un truc redondant dans ma photographie, souvent pour mettre à l’aise les gens pendant les séances, je leur propose d’allumer une cigarette [pour les fumeurs, bien entendu] et pendant ce temps je les photographie. ». C’était la dernière année pour la cigarette dans les lieux publics, Philippe accepta l’idée.
Le livre a été fait en à peine 7 mois. Il était difficile de réaliser des images qui dans l’esthétique, dans la composition ou dans le style, seraient très linéaires. De plus, le budget du livre n’était pas faramineux. Donc je me suis dis : « on va le faire dans des univers différents qui me viennent au fur et à mesure, et de ce fait cela créera une dynamique dans le livre ! »
Tout cela se faisait assez au jour le jour : des repérages des lieux, des séances selon le temps libre des protagonistes souvent très court d’ailleurs, le shoot le plus long a pris deux heures. Au départ, j’étais tout seul dans le projet, puis Stéphanie Vaillant (styliste) m’a rejoint, et grâce à elle ça a été beaucoup plus facile. Comme je le dis souvent, il ne suffit pas d’être entouré que de gens doués, mais d’être entouré de gens qui fonctionnent avec la même énergie, la même philosophie.
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\ Y a-t-il eu des démarches particulières selon les différentes personnalités du livre ?
L’avantage de travailler pour des magazines de cinéma, c’est de profiter des promotions des films pour rencontrer des gens. Et quand tu travailles avec des magazines qui n’ont aucun souci avec la clope, que demander de plus…
Matthieu Kassovitz c’était à Cannes, ça a duré dix minutes. Pour Poelvoorde c’était lors de la promotion de « Les Deux Mondes » sur les toits de la prod’. Béatrice Dalles c’était pour Score.
Ensuite, ça fait boule de neige, les images entrainent d’autres images. Et l’on réalisait plus de prod’ pour le livre. La présence d’un éditeur du groupe de La Martinière a beaucoup aidé aussi.
Pour les rencontres, il y avait aussi le petit festival de Cabourg, très intéressant car tu côtoies vraiment les gens, tu manges avec eux, tu partages les soirées, il est donc beaucoup plus facile de d’aborder les gens de manière plus détendu par rapport à Cannes où c’est beaucoup plus fermé.
C’est là que qu’on a rencontré Jean-Marc Barr notamment. Le projet l’a intéressé et il nous a donné son numéro de téléphone. De retour à Paris, il nous a invité chez lui ! C’est pas rien Jean-Marc Barr c’est « Le Grand Bleu » quand même !
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\ Selon ton portfolio tu commences à avoir une certaine expérience en matière de shoot de personnalité, est-ce que ces gens là t’impressionnent toujours comme au premier jour ?
Je suis plus touché qu’impressionné par certaine personnalité. La première personnalité que j’ai faite c’était Sinclair, le chanteur. Je n’étais pas stressé par le personnage mais plus par le fait de faire une belle photo, qui soit à la hauteur de ce qu’il fait, de ce qu’il me renvoie.
Puis, tu n’as jamais trop le temps d’être impressionné… Car la plupart des images de star que tu vois sur mon portfolio, c’était des images où j’avais entre 5 et 20 minutes pour la réalisation. La vraie pression c’est ça, tu ne sais pas comment il sera habillé, de quelle humeur il sera, tu sais pas comment va être le décor, et il faut absolument que tu ramènes une très bonne image pour le magazine ! Quand je travaillais pour le magazine « Score » (ndlr : « Score » n’existe plus) qui mettait vraiment l’accent sur les images. Il fallait vraiment rapporter quelque chose « qui tape ».
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\ Est-ce qu’il y a des imprévus pour le livre, ou même as-tu des anecdotes vis à vis de ton travail ?
L’imprévu fait partie de mon travail surtout quand tu fais de la photo de presse pour les promotions.
Je me souviens avec Carmen Electra, je voulais faire une scène où elle crie au coté de Anna Faris, mais l’attaché a refusé l’idée. Là il ne faut pas se déstabiliser et il faut trouver un plan B rapidement car tu as toujours peu de temps.
Point à souligner, c’est dans ce genre de photographie qu’il faut aussi comprendre que tu n’es pas en train de faire des photos de mannequins. Ce qui implique qui faut donner un maximum de direction. Par exemple, un acteur comme Clovis Cornillac te donnera beaucoup de choses si tu le diriges un minimum.
Ce genre d’exercice t’apprendre à être rapide et efficace. Travailler pour Score Magazine et avec Wahib m’a beaucoup appris sur cet aspect de la photographie.
Quand tu as ton image, tu le sais, ce n’est plus la peine de continuer. La dernière anecdote en date, c’est les photos de Mélanie Thierry pour le magazine Brazil pour la pièce Baby Doll dont l’affiche a d’ailleurs été faite par Peter Lindbergh.
Je lui explique que je vais faire quatre prises de vue différentes, elle acquiesce. Je fais quelques portraits, une vingtaine de photos, et je lui dis « c’est bon ! »
Elle me dit : « Non mais, tu plaisantes tu as fini là ?! »
« Oui oui, j’ai fini… »
« Ah d’accord bon ben j’ai jamais vu ça. Je vais me mettre là-bas mais euh, je peux regarder là ? » Elle regarde les photos « Ah mais, c’est super sympa ! »
« Ben merci écoute ! »
Une femme comme Mélanie Thierry, un super décor, l’expérience du terrain c’est sûr ça facilite beaucoup les choses. Ce n’est pas du grand art non plus, c’est de la photo sympathique.
Une anecdote sur la dernière photo du livre (I love danger), c’était le deuxième rendez vous avec une comédienne, et également la deuxième fois qu’elle me plantait ! Et lors de la deuxième, j’avais quand même dérangé pour rien l’équipe maquillage, coiffure, styliste, etc. J’ai décidé de réaliser une photo avec la maquilleuse qui portait cette petite robe d’été ! Je lui ai dit de marcher dans la rue avec ce sac (de Castelbajac). Comme quoi les imprévu parfois…
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\ Quel est ton rapport à la cigarette ?
C’est une petite nostalgie, c’est drôle parce que je ne suis pas fumeur et je déteste l’odeur du tabac froid. Par contre, j’adore les femmes qui fument, les femmes rock’n’roll, les femmes qui s’affirment.
Et puis, avec l’arrêt de fumer c’est tout un paysage public qui a changé visuellement. Quand je vais à un concert, ça me fait très bizarre de plus avoir de fumée. Même si c’est plus agréable d’être dans un lieu non enfumé je trouve que ça cassé quelque chose socialement.
Rien que le fait de poser une cigarette dans un cendrier et de la laisser se consumer, ça raconte quelque chose : il y a ou il y a eu une présence humaine. Dans les scènes de stress où il y a une ambiance très lourde, la cigarette apporte encore quelque chose. C’est le temps qui s’écoule…
La cigarette est culturelle, on ne peut pas effacer les vieilles années. Si aujourd’hui tu faisais un film sur les années 70 ou 80 et que le bar n’est pas enfumé, y a un truc qui va pas ! Prends Gainsbourg, tu ne peux pas lui enlever. Tu regardes les premières pubs pour le tabac, c’est presque conseillé par les docteurs, c’est très drôle ! Quand tu mets une cigarette dans une scène, ça a un sens, ça a une vraie référence.
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\ Quel est pour toi le matériel idéal de prise de vue, et les conditions idéales ?
Ayant une base scientifique, tu t’interroges sur pas mal d’aspects techniques, mais très vite je me suis dit « Olala le technique j’ai fait ça tout le temps » Je crois que j’ai quasiment rien lu sur le technique en photo. La question est plutôt de savoir « Comment on fait une belle image ? »
L’aspect technique c’est : « tu prends un très bon boitier, tu prends une très bonne équipe, une bonne lumière, en mode tu prends une très belle fille, des beaux fringues… » Là tu as une image qui intrinsèquement est parfaite, mais est-ce que c’est une image pour autant intéressante ? Y a beaucoup de photos de mode que je ne peux pas critiquer, car elles sont très bien, techniquement parfaites. Mais, elles ne me parlent pas. Quand tu as une démarche plus artistique, tu vas jouer plus sur ta sensibilité, sur ce que tu vas raconter.
Tu peux faire une photo volontairement cramée à certains endroits qui dégage une émotion incroyable. Pour choisir un appareil, tu dois savoir quel type de photo tu veux réaliser. Je suis resté dans le 24×36 car j’aime beaucoup bouger. Cependant j’aime énormément la profondeur de champ très courte, quand tu as des petits capteurs, c’est très dur à obtenir, le zoom a tendance à aplatir les images. J’aime la dynamique, je travaille beaucoup au grand angle, j’utilise beaucoup le 20mm et le 50mm essentiellement. Le numérique a été très difficile car je venais du 24×36 argentique. Et qui aime le cinéma, aime la profondeur de champ courte, aime le grain… Et le numérique est très plat, très précis comme image, particulièrement avec les premiers capteurs. J’ai doucement retrouvé le feeling que j’avais avant avec les capteurs Full Frame.
J’aime aussi profiter des points faibles de l’objectif. Le manque de piqué à grand ouverture, le vignetage sur les grand angles et shooter à faible vitesse. J’aime le flou, j’aime le grain, la lumière continue ou naturelle. En un mot avoir du relief dans mes images, un coté brut. Même si on retouche toujours un peu, car les tendances font que ça reste nécessaire. Mais moins j’en fais, mieux je me porte.
Les conditions idéales, c’est avant tout une bonne énergie. Ensuite c’est matériel, car étant un fan de cinéma, j’adore la lumière continue mais ça n’est pas toujours facile à mettre en place.
J’ai eu la chance récemment de faire une série un peu « Polar » pour Gala, qui a loué un lieu exceptionnel, le matériel, c’était vraiment chouette ! Faut jamais oublier que les conditions sont sujets à être très personnels… La sensibilité, qu’est-ce qu’on veut raconter, on réagit tous de différentes manières devant une idée. Ça peut être très simple dans bien des cas.
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\ Est ce qu’on verra un jour Eddy Brière au cinéma ?
Au cinéma je ne sais pas. En tout cas l’image animée est un truc qui me tente bien.
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\ Des conseils pour un débutant, ou un amateur ?
Le seul bon conseil qu’on m’a donné en photographie, c’est « Photographier, photographier, photographier… » Ne pas hésiter, faut essayer des trucs, tout le monde commence prendre un pigeon en photo… Faut bien commencer quelque part, le numérique te permet de faire un peu tout à l’infini. A force de regards, à force de shooter, tu iras bien quelque part. C’est un entrainement, comme un entrainement physique. Ça vient avec le temps et la répétition.
La photo aussi au départ, c’est beaucoup de rencontre, pour ça Internet a été chouette. Les forums, la rencontre des photographes c’est important. Le partage est rare dans les métiers artistiques, notamment avec les photographes qui sont très protecteurs. J’entends souvent dire tel ou tel photographe « ouais moi ma lumière… » Toutes les lumières ont été déjà inventées, tu n’inventes plus rien, en photo c’est pareil ! J’ai pas honte de me dire que je m’inspire car quasiment tout a été fait en photo. Après, c’est à ta sensibilité de faire la différence.
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\ Un petit mot pour la fin ?
C’était très sympa d’être interviewé par un webzine photo sans être harcelé de questions techniques. Pour moi la photo c’est avant tout véhiculer de l’émotion.
Il ne faut pas se sentir impressionner où se considérer comme n’étant pas à la hauteur (à la hauteur de quoi d’ailleurs ?). T’as envie de faire de la photo, et bien vas y, te retiens pas !
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Pour rappel, son livre (dont vous trouverez la couverture ci-dessous) est au petit prix de 12€. Disponible un peu partout sur le net, et dans toutes les bonnes librairies d’arts.
Site du photographe : www.eddy-briere.com
Mini-site sur le livre : 7minutes.eddy-briere.com/
16 commentaires
Ajouter le vôtreIsk : Oui, sympa !
Silphi : Environ le double 😉 Bien pour le livre tu sera pas décu 🙂
J’ai enfin pu prendre le temps de lire correctement cette interview et c’est vraiment un chouette article. Par curiosité, la version in extenso est vraiment beaucoup plus longue ?
Et pour le livre, je l’avais déjà commandé la semaine dernière ^^
Heureusement que tout n’a pas été fait en matière de photo, on en est à peine à 1%…
Sinon je connaissais déjà son portfolio, sympa…
Cataras : Oui, en effet, il sait rendre accessible et bien presenter son travail. Ravis que ça te donne envie d’acheter le livre !
Tom : C’est dommage, ça sera de plus en plus le cas vis à vis des censures…
Nadia : J’ai bien une réponse, mais ça te conviendrait pas 😀
Lezarderose : De rien 🙂
C’est super comme interview, merci !
^^
Bon euh par contre.. les beaux yeux bleus d’Eddy tu les as stocké où?
Je rajoute que ça fait plaisir de lire un avis sur la cigarette tel que celui d’Eddy Brière.
En effet, la cigarette fait partie entière d’une ambiance, d’un décor, d’une atmosphère, etc. et on a un peu trop tendance à la diaboliser de nos jour, et ce à l’extrême. Cf. à Paris l’affiche censurée de Jacques Tati ou encore plus récemment celle d’Audrey Tautou pour le film « Coco avant Chanel ».
Je suis fumeur et content de ne plus puer la clope après une nuit en pub, mais y’a des limites je trouve.
Allez, je vais m’en griller une, sur ma terrasse, et encore bravo pour ces belles photos.
Beaucoup de tallent et en plus il parle vraiment super bien ! Alors, même si je suis réfractaire à la cigarette, je cours me procurer 7 minutes…
Jelly : Oui, chouette le mec hin ! Interessant et tout.
Picsmaker : j’aimerai également, mais ça dépend pas que de moi, je tenterai d’en contacter d’autres.
Rémi : Merci. Pour les fautes, j’ai du relire le tout quinze fois, à force j’ai du en louper plus d’une. :
Bonne interview.
Par contre, attention aux fautes d’orthographe, c’est super désagréable et ça décrédibilise un peu l’article…
Géniale cette interview, et très bon photographe !
C’est une expérience que j’aimerais voir se recommencer avec d’autres.
Très chouette bonhomme, itw très intéressante! et OUI, la clope manque dans les lieux publics!!!! (et oui…sauf l’odeur du tabac froid…ok!)
Mourtazag : Merci… Oui en effet, il a une démarche très intéressante, c’est également pour ça que je l’ai choisi. Et de rien 😉
Tom : Oui, en effet, et encore, j’ai du coupé beaucoup de choses, comme il disait énormement de choses intéressantes.
Alex : Que veux-tu dire ?
Et sinon la partie matos?
:p
Merci pour cette interview ! Il m’a fallu un plus de 7 minutes pour la lire en entier, mais ce fût quand même du plaisir 😉
Yeah ! Très bonne interview ! J’aime beaucoup la démarche du photographe, ces photos prises « rapidement ». Je vais acheter le livre.
Merci Maxime, merci Eddy.