Aujourd’hui et pour votre culture, une image importante du photojournaliste américain Kenneth Jarecke, prise lors du premier conflit Irakien en 1991.
En français dans le texte :
« Si je ne photographie pas ça, des gens comme ma mère penseront encore que la guerre est ce qu’ils voient à la télé » *
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Et la note en bas de boucler le statut culte de ce cliché : « les médias américains ont refusé de publier cette photo ».
Cette vision d’un soldat irakien carbonisé dans son camion par un bombardement américain a été finalement publiée dans le London Observer, avant de devenir l’une des images étendard de ce conflit.
Mais elle n’a jamais été diffusée aux Etats-Unis, censurée du fil d’info d’Associated Press à l’époque…
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//Du traumatisme vietnamien au contrôle irakien
Il convient donc d’en redonner le contexte : en 1991, Internet n’existait pas pour diffuser massivement et sans frontières les images qui étaient alors un business stratégique et hautement contrôlé.
Le premier conflit irakien est symbolique de ce contrôle. Car c’est le premier conflit majeur dans lequel les Etats-Unis sont impliqués après le Vietnam. Et le Vietnam restera dans les annales comme la guerre de l’image.
Ayant laissé les médias couvrir ce conflit armé librement, les Etats-Unis ont aussi laissé pour la première fois la Guerre, sa violence et sa cruauté unilatérales éclater au yeux du monde. Avec l’immense retournement de l’opinion public que l’on connaît et un véritable traumatisme pour les militaires et cellules de communication gouvernementales du monde entier.
Pour le premier conflit Irakien de 91 donc, le Président Bush (père) a soigneusement veillé à museler un maximum les médias et bloquer les clichés du calibre de celui de Jarecke pour communiquer sur une « guerre propre ». Ce dernier était d’ailleurs escorté par un officiel de l’armée durant tous ses shoots, une pratique aujourd’hui de rigueur.
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//La lutte continue pour la transparence
Dans cette période où la question de transparence est posée par les projets comme Wikileaks, il est aussi bon de se rappeler que nous vivons quoiqu’il en soit dans une ère hautement plus libre qu’il y 20 ans, presque jour pour jour.
Vincent J. Alabiso, à la direction d’AP à l’époque, regrette sa décision d’alors, motivée par l’état d’esprit qui régnait, largement conservateur et patriotique. « La photo serait sortie aujourd’hui » avouera-t-il en 2004.
Et si dans 20 ans, nous découvrions des clichés d’une dureté extrême censurés aujourd’hui ? Étrange sensation de penser que c’est largement possible, malgré la lutte sans concession de photographes comme Kenneth Jarecke.
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(* dans une interview à la BBC, le propos exact de Jarecke serait « If I don’t make pictures like this, people like my mother will think what they see in war is what they see in movies. »)
8 commentaires
Ajouter le vôtreMerci Lâm pour cette bouffée d’oxygène, tout comme tes autres messages sur le photo journalisme. Ca remet plein de choses en perspective.
Je suis toujours béat devant les difficultés de ce métier : personnelles, intellectuelles, humaines… et les responsabilités qui vont avec.
Je préfère ne pas me poser la question sur la légitimité pour certains clichés d’être acteur ou juste témoin. Je pense que la réponse varie pour chacun en fonction de la manière dont on s’engage pour aider son prochain.
Mais il y a une chose qui est sûre : ce métier et ces clichés sont nécessaires. Merci de nous le rappeler.
Wow quelle photo…
Je voue une admiration sans borne envers les photojournalistes mais je me suis toujours demandée comment ils arrivaient à prendre de la distance, ne pas s’impliquer devant ce qu’ils voient.
Par aileurs l’information est indispensable, la censure condamnable, cependant je me demande si des fois sous pretexte d’information, on ne tombe pas un peu dans le sensationalisme voir le voyeurisme.
Est-il vraiment nécessaire parfois de montrer autant la détresse de certaines personnes. Certes ses images sont sans doute nécessaire pour « motiver » quelqu’un à apporter son aide mais ca me choque parfois de voir ses visages à nus où on lit sur leur trait et dans leurs yeux toute la détresse, je n’aimerai pas être prise en photo dans ses moments là.
Bref je m’interroge, sans condanmer forcément les photographe sou le sjournalistes, sur la frontière entre information et témoignage historique et voyeurisme.
Pour le Vietnam on a tous en tête l’image de Phan Thị Kim Phúc (une petite fille qui court nue entourée de GIs avec en fond quelque chose comme du napalm. Icône de guerre en quelque sorte.
Je n’ai pas l’impression qu’on retrouve ce genre de choses aujourd’hui. Des images fortes, beaucoup, mais rien pour lequel je puisse me dire « l’Irak c’est ça »… jusqu’à aujourd’hui peut-être, je ne connaissais pas l’image ni l’auteur.
@Lematt Pour l’affrontement horreur/esthétique il y a eu une photo de Kevin Carter représentant un enfant du Soudan mourant de faim, un vautour attendant sa mort derrière lui. Le gars a eu le prix Pulitzer pour sa photo…. et a fini par se suicider car il n’arrivait pas a gérer l’horreur qu’il avait vécu et les reproches des bien-pensants lui reprochant d’être le deuxième rapace de la photo.
les deux images sont visibles ici http://www.chezthierry.info/2007/08/30/des-photos-qui-ont-change-la-face-du-monde/
Je connaissais pas, donc merci. 🙂
J’me dis, quand même, ça doit être terriblement dur de faire gaffe à faire une bonne photo avec ce genre de sujet. Et quand le photographe y arrive, c’est un épouvantable paradoxe où horreur et esthétique s’affrontent.
Donc bravo à tous ceux dont c’est le dur métier.
On pourrait en parler longtemps, de ce sujet 🙂
Eh ba dis donc, quelle photo !!!!
merci pour notre culture et surtout pour la réflexion sur la transparence.
Et pour en savoir plus, un excellent lien :
http://www.famouspictures.org/mag/index.php?title=Iraqi_Soldier