Tout comme Rolls Royce, Leica est une marque connue de tous, mais pratiquée par peu. Son approche aujourd’hui assez unique, son histoire prestigieuse, ses fans endurcis et ses détracteurs de toujours…
La sortie du nouveau M9-P, ne va pas vraiment changer la donne, cette nouvelle version du boitier M9 ne lui apportant que des changement cosmétiques, pour un tarif premium de 6000€… Et déjà 1500 pré-commandes. Leica, un vrai cas à part.
Cette actualité était aussi l’occasion pour le petit staff de la marque allemande de venir à Paris et discuter un peu. Et vous serez étonné par leur franc-parler et leur honnêteté face à des questions qui nous valent souvent des sourires gênsés des réponses toute faites ou des « pas de commentaires ». Nous avons donc rencontré Stephan Daniel, considéré comme le « père » de tous les Leica numériques. Dans une petite salle sans chichi et dans un français presque parfait, il nous a parlé de sa marque, du succès actuel, dressé le portrait robot des Leicaïstes et oui, du futur hybride maison…
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AVEC UN « P », POUR PURISTES
Sttefan, ce M9-P est-il au M9 ce que M8.2 était au M8: une sorte d’upgrade de milieu de cycle ?
Un petit peu oui, mais si on compare le changement du M9 au M9-P à celui du M8 au M8.2, il est moins important. Ici seuls le look et le verre saphir qui ont changés alors qu’avec le M8.2, nous avions aussi changé les cadres.
Les rares changements de ce M9-P signifient que le M9 marche très bien et que vous n’avez pas besoin de grand-chose pour renouveler son cycle de vie…
C’est exactement ça. Le M9 marche tellement bien en vente, il est tellement apprécié, on s’est dit qu’on allait investir nos capacités en développement pour la prochaine génération et pas pour travailler et améliorer un boîtier qui est déjà très bien.
Peut-on avoir un ordre d’idée des chiffres de vente du M9 ?
Je peux dire qu’il faut retourner très loin en arrière pour retrouver de telles ventes. La dernière fois qu’on a vendu pareilles quantités c’était dans les années soixante.
C’est un peu le nouveau M6, en somme…
Même le M6 ne se vendait pas à autant d’exemplaires par an que ce boîtier. Là c’est plutôt comparable avec les M3, M4 de l’époque. (ndLâm : les derniers M argentique se vendaient autour de 10000 exemplaires par an)
Le M9-P est-il un clin d’oeil à vos clients plus traditionalistes ?
Hier soir je le constatais encore à la présentation, tout le monde met un bout de scotch devant le logo et l’inscription « M9 », alors pourquoi ne pas produire un modèle très classique et sobre ? Ce qui est assez drôle, c’est que pour la moitié de la clientèle, on pourrait faire le point rouge très grand, voire même lumineux, ils seraient satisfaits. Mais l’autre moitié de la clientèle n’aimerait pas ça. En tout cas, les deux modèles cohabiteront…
… Et connaîtrons des ruptures de stock chroniques.
Ca, nos clients sont habitués…
Qui est votre clientèle, aujourd’hui ? Le succès historique du M9 signifie que vous séduisez ou que vous re-séduisez de nouveaux clients: Le marché chinois ? Les possesseurs de reflex cherchant une solution plus discrète mais haut de gamme ?
Il y a en gros trois tendances :
1, beaucoup d’utilisateurs de M6 et de boitiers argentiques se mettent au numérique maintenant avec le M9.
2,des utilisateurs de reflex numériques se mettent au M9 parce qu’il est plus petit, plus sobre, plus discret. Ils ne veulent pas être vus toute la journée avec un gros appareil, tout en voulant la qualité d’image.
3, il y a les nouveaux marchés comme la Chine, où Leica est devenue une marque icône.
Un peu comme Vuitton ?
Oui, comme Vuitton, Hermès… Leica est là-bas classé dans les « status symbol » comme on dit en anglais. Comment dit-on en français ?
Un signe de réussite, comme une grosse voiture ou une belle montre. Le développement des Leica Store, correspond-il à ce changement de clientèle ?
En fait on croyait dès le début et le concept marche bien. Mais on ne pouvait développer tout ce système sans une gamme de produits assez complète. Avec maintenant des compacts, le X1, le M9 et le S2,il y a quelque chose à ranger sur les étagères. (Rires)
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ET LE FUTUR LEICA, ALORS ?
En parlant de gamme complète… Tout le monde parle des hybrides, beaucoup les considèrent comme les héritiers spirituels des Leica M. Le côté grande qualité, compact, moderne, interchangeabilité des objectifs etc… Vous avez regardé tout ça de près. Quelle est votre position là-dessus aujourd’hui ?
Vous avez bien pointé la chose: Quand j’avais parlé d’une gamme complète, et bien… elle n’est pas complète en fait. Parce qu’entre le M9 et le X1 il y a un trou. Alors on peut imaginer un X1 avec une bayonnette M, on peut imaginer plein de choses…
Il y a un trou, nous en sommes bien conscients et nous allons à moyen terme le remplir avec quelque chose en dessous du M et au dessus du X1. Et je crois au concept des hybrides. Nous en avons d’ailleurs un, avec le M. Tout ce qui lui manque c’est le liveview et peut-être l’autofocus.
Oui, mais l’autofocus c’est très nouveau chez Leica, juste arrivé avec le S2. Est-ce dû à certains conservatisme chez vos clients très puristes, mais aussi en interne chez Leica ?
Peut-être y’en avait-il à une époque, mais personnellement ma philosophie c’est que l’on doit s’ouvrir. Et même si on ne doit pas suivre chaque mode du marché, les grands courants il faut absolument les suivre. Sinon c’est la « dead end ». Nous ne sommes pas seuls au monde, nous ne vivons pas sur la Lune, et comme on est bien sur Terre, on doit s’adapter aux courants majeurs du marché. Comme on s’est adapté au numérique. L’autofocus est là, il a ses avantages.
Et pour la petite histoire, c’est quand même vous qui l’avez inventé ! (Ndr : Leica a inventé l’autofocus dans les années 70, mais a vendu le brevet à Minolta)
Oui ça c’est encore une belle histoire. (rires)
Si ce n’est pas Leica qui sort un hybride, un fabriquant va bien un jour sortir un boîtier compatible… Fuji aurait très bien pu sortir le X100 avec une monture M, puisque le brevet est libre…
Oui, un brevet dure normalement 20 ans, il a donc expiré en 74.
Mais si vous lancez un nouvel appareil, il ne sera pas forcément en monture M . Peut-être compatible, mais s’il est question d’autofocus ce sera forcément une monture nouvelle…
Il y a vraiment plein d’options et…
Et vous êtes encore en train de les peser aujourd’hui.
Exactement.
Ce nouveau Leica n’est donc pas pour demain !
Ce n’est pas pour demain, mais si on veut prendre une part du marché un peu plus grande, il faut avoir un boîtier ou un système compatible avec la demande de Monsieur Dupont.
Et vous envisagez des partenariats avec d’autres marques ?
(Hésitation)
… Ou est-ce que ce boîtier serait 100% « in house » ?
Ce n’est pas décidé mais même aujourd’hui on a des sous-traitants, des partenaires, parce qu’on ne peut pas tout faire nous-mêmes. Essayez de trouver un fabriquant d’écrans en Allemagne ! Vous n’allez pas trouver. Il Faut aller en Asie !
Un partenariat avec Panasonic existe déjà, un Lumix G version Leica, serait-il plausible ?
En ce qui concerne Panasonic, nous avons décidé de ne pas rentrer dans le micro 4/3.
Pourquoi pas un compact micro 4/3 chez Leica ?
La collaboration avec Panasonic marche très très bien sur les compacts. Mais sur le Digilux 3, ça a moyennement marché. Et donc on ne va pas rentrer dans le micro 4/3. Pour une petite société, le système M et le système S sont déjà conséquents à maintenir et à développer. Rajouter une troisième monture, pour Leica ce serait…
Ce serait lourd. Refaire toute une gamme d’optiques avec une monture et un format spécial… On peut donc supposer que ce compact serait plutôt avec un capteur de type 3:2.
Oui je crois que l’APS-C c’est une bonne taille.
Oui, un APS-C avec une monture M, mais peut-être plus petit.
(Pas de réponse. Rires)
En tout cas, sacré programme pour vous, entre ce futur hybride et le M qui sature les chaînes de montage…
Oui pour une petite société comme Leica, c’est quelque chose !
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LEICA DANS LE RYTHME NUMERIQUE
Le M9 marche très bien. Le X1 se vend, un futur modèle est en préparation… Nous avions visité l’usine de Solms il y a deux ans, qui tournait déjà au maximum de son rendement. Comment allez-vous gérer tous les challenges qui s’offrent à une entreprise presque artisanale ?
Actuellement l’usine est au bout de sa capacité, la seule chose qu’on peut et qu’on va essayer de faire, c’est de créer deux chaînes: une la journée et une autre la nuit. Mais nous ne pouvons évidemment faire travailler nos employés quinze, dix-huit heures. Ils sont fatigués après huit heures, nous sommes donc en train d’embaucher des personnes supplémentaires pour le « night shift » Mais il faut les former. Parce qu’on ne peut pas les prendre dans la rue et leur dire « Bon tu vas monter une optique de luxe », ça ne marche pas.
Il est donc très difficile d’augmenter le nombre de nos produits. Parce qu’ils sont faits artisanalement, c’est un certain désavantage.
C’est le prix à payer pour rester très haut de gamme.
Oui. Et la demande pour les objectifs nous montre qu’il y a beaucoup de nouvelle clientèle. Parce que les clients existants ont déjà leurs optiques, du M6 ou d’autres, donc ils achètent un nouveau boîtier et c’est tout. Mais on a une demande énorme pour les objectifs. Ca nous montre qu’il y a beaucoup de nouveaux clients qui entrent dans le système.
Et en général les clients Leica sont une clientèle assez fidèle. Vous sentez que ça ne va pas être passager, que ce ne sont pas des clients qui vont venir et repartir comme ça ?
Je dis toujours « on a les meilleurs clients du monde ». Parce qu’ils sont très fidèles, mais quand quelque chose ne leur plaît pas ils le disent.
Oui, ils sont très bruyants.
Ils le disent très fort et j’apprécie beaucoup, parce que pour une autre marque ils vont peut-être revendre et partir sans rien dire. Mais avec Leica comme ils sont passionnés ils disent « Je n’aime pas ça », «Il faut améliorer ça », et moi ça me facilite la vie, c’est du « market research » gratuit !
Pour en revenir à cette histoire de cycles de développement, comment cela va-t-il se passer maintenant à moyen terme pour Leica ? Comparé au rythme de l’argentique, le numérique se compte en mois, trois ans pour les appareils les plus durables. Bref, loin des 10 ou 15 ans que pouvait tenir un appareil haut de gamme en argentique.
Notre M6 a tenu 18 ans, c’est surréaliste aujourd’hui.
Est-ce que du coup chez Leica vous retravaillez tout votre rythme de vie ?
Oui, même si nous ne sommes pas à fond dans la compétition avec nos amis japonais, nous faisons quand même partie du monde de la photo numérique. Il faut respecter les cycles de vie dans le numérique, c’est sûr. Trois ans c’est un très bon cycle de vie, du M8 au M9, ça a duré 3 ans. Et peut-être que pour le M9 ce sera un peu plus long, mais nous sommes est bien conscients qu’on ne peut pas vendre un M9 pendant 5-6 ans, ça c’est sûr.
Vous nous annoncez un M10 à la prochaine Photokina, alors !
No comment. (rires)
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Interview menée par Lâm HUA et Julien Bolle du magazine « Réponses Photo ». Retranscription : Matyeu.
+ Retrouvez le Leica M9-P dans notre Wiki
+ Retrouvez le Leica Super Elmar 21mm f/3.4 dans notre Wiki
+ Notre visite dans les usines Leica
13 commentaires
Ajouter le vôtrele x100 est autofocus, ce qui est une grosse différence.
[…] AG – Leica M9 / Battery Low Issue The interview with Stefan Daniel is available (in French) at: Leica M9-P, Hybride… Stephan Daniel nous dit tout – Lense.fr Best regards, […]
Une question me taraude, outre les M8 et M9 de Leica ainsi que l’Epson RD-1, existe-t-il d’autre appareils télémétriques numériques ?
J’ai cru comprendre que le Fuji X100 est un hybride basé sur le télémétrique, mais en existe-il d’autres ?
On fait tout aussi bien pour bien moins cher. Mais le luxe attire toujours…
Excellente interview! ç’eut été bien de savoir ce qui est prévu pour le x2 même si en lisant entre les lignes…
Sympa cet article, par contre :
« des utilisateurs de reflex numériques se mettent au M9 parce qu’il est plus petit, plus sobre, plus discret. Ils ne veulent pas être vus toute la journée avec un gros appareil »
Mhouais… même sans la pastille rouge pas certain de passer moins inaperçu avec un Leica qu’avec un reflex à 1000 euros 😀
Le premium est cher quand même pour un verre saphir et un emballage plus discret… En tout cas, j’ai bien aimé l’interview, ils sont complètement conscient de leur position sur le marché, de leur produits et de leurs clientèles. J’aurais bien aimé bossé avec eux. ^^ »
En tout cas, Lâm est le roi des déterrages de topic sur Lense. 🙂
Super interview, longue et transparente ! Merci beaucoup.
J’aime bien la citation à propos de la difficulté de former des ouvriers très qualifiés : « On ne peut pas les prendre dans la rue et leur dire « Bon tu vas monter une optique de luxe », ça ne marche pas. »
Passé au Leica l’année dernière, je suis toujours époustouflé par le compromis compacité/solidité/performance des optiques M.
Avant de recevoir une volée de bois verts, quelle est la philosophie de LEICA?
Quelles sont leurs différences avec les appareils BONS PUBLICS ?
Merci de vos réponses de photographes.
http://fr.leica-camera.com/photography/m_system/philosophy/
:o)
La philosophie de Leica est une approche assez élitiste et minimaliste de la Photo. Aucun chichi, très peu d’assistance, un design éprouvé et clairement, un univers luxe.
On aime ou on déteste…
« Pour plus de 3000€ n’importe qui fait, et est capable de faire des objectifs de très bonne
qualité »
Ah et quoi ?
Je ne connais pas d’autre compact avec un capteur 24×36.
Comme dit plushaut, leica on aime ou on déteste mais au moins faut il avoir essayé avant de juger.
Perso, j’ai un M7 que j’adore. Et je rêverais de pouvoir me payer un M9.