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LIVE WILD : les sept alias photographiques de Camille Lévêque

Rencontre avec l’artiste et photographe Camille Lévêque, à l’origine du collectif LIVE WILD, projet composé de sept alias chacun incarnant un univers photographique et visuel différent. Retour sur cette aventure créative hors norme, réflexion novatrice sur la place des femmes dans l’univers de l’image, sur le rapport à l’anonymat et à notre identité, sur nos origines et nos mémoires.  (Photo d’ouverture : © Charlotte Fos)

Camille Lévêque est la fondatrice du collectif LIVE WILD. Composé de sept photographes et artistes, il est en réalité l’œuvre titanesque d’une seule et même personne : Camille elle-même. A travers un travail sur les alias, l’artiste a créé sept alter ego ayant chacune son univers visuel bien à elle, sa biographie un peu réelle un peu fantasmée, son récit, ses origines, son style. Des images pop et sulfureuse de Lucie Khahoutian, on passe aux travaux plus lents, conceptuels et expérimentaux de Camille ou d’Ina Lounguine. Rencontre avec une artiste photographe traversée par des visions artistiques multiples et flamboyantes.

Bonjour Camille, merci de répondre à nos questions. Pourrais-tu nous raconter la génèse du projet LIVE WILD ?

Le collectif je l’ai créé en 2014. Une année charnière où j’ai mis beaucoup de projets en place et je me suis professionnalisée en tant qu’artiste visuelle. Ma pratique touche à plusieurs domaines : l’installation, la vidéo, la sculpture, la photographie…en France on a tendance à mettre de suite les gens dans une case. Je cherchais un moyen de pouvoir exprimer tout le panel de mes pratiques. Alors, l’idée des alias est venue. De George Sand à Fernando Pessoa, les alias m’ont toujours fascinée en littérature. C’est une démarche politique, liée parfois au genre de la personne ou bien à la peur de publier sous son nom un roman trop sulfureux. Mais c’est aussi un choix esthétique. Pour ma part, j’ai créé des alias qui sont en fait les noms mélangés de certaines femmes de ma famille. Tout ce projet est une vaste réflexion entre la réalité et la fiction, sur comment je me présente en tant qu’artiste et comment je divulgue ma pratique. L’idée n’est pas d’être dans le vrai ou le faux mais de distordre le réel, comme si les souvenirs l’avaient un peu altéré.

© Lucie Khahoutian
Pourquoi sept alias et comment tu gères toutes ces identités différentes ?

C’est chronophage, je suis assez workhaolic. Mon boulot c’est ma passion, une passion dévorante. J’ai huit adresses mails, plusieurs Instagram…Chaque personne existe réellement pour moi et elle a sa propre manière de communiquer, sa personnalité. Sept n’est pas un chiffre anodin : l’idée de base de LIVE WILD est de sortir un coffret en sept volumes, chacun correspondant à une lettre du prénom, Camille. Un peu comme les coffrets de Sophie Calle. Chacun des prénoms du collectif correspond à une lettre de Camille et le « e » signifie « et caetera » : ce sera une sorte de manifeste. Comment je gère cela concrètement : cela va par périodes. Par exemple, je peux avoir une phase collage où j’en produis deux-cent en deux mois et ensuite je les repartis entre les alias qui pratiquent le collage au sein du collectif. Ou alors j’entame un projet en particulier et je décide de le développer avec une artiste précise.
Certains alias m’inspirent plus que d’autres : Lucie Khahoutian par exemple me rappelle ma grand-mère arménienne avec qui j’ai grandi, et c’est mon amour pour elle qui m’a poussée à commencer ce projet. A travers elle, je mets en exergue cette puissance familiale, toute cette mémoire.

Quel est ton lien avec l’Arménie ?

Je suis arménienne et je suis née en Arménie. LIVE WILD m’a permis de parler de cette culture car l’Arménie est inexistante dans nos représentations. Elle est peu présente dans la scène artistique et nous sommes surtout connus pour des faits de guerre, comme le génocide. Alors je voulais parler de cet héritage autrement et traduire cette richesse culturelle.

© Ina Lounguine
Vidéo, travail textile, installation, photo : où as-tu appris toutes ces pratiques ?

J’ai juste mon bac : je suis complètement autodidacte. Mes personnages, elles, elles ont toutes une formation scolaire. C’est le seul élément de mensonge du projet. J’ai appris avec des tutoriaux, des expérimentations…en France il y a une grosse frilosité quant à l’échec et donc on laisse peu de place à l’expérimentation de nouveaux formats. Le collectif me permet de me lancer sans peur, de parler de différents sujets à travers des langages multiples.

Quel est ton rapport à la diffusion web de tes œuvres ?

J’y accorde beaucoup d’importance. Tous les ans je refais le site et je soigne mes comptes Instagram avec attention. Le web c’est gratuit et démocratique, accessible à tous. C’est aussi plus ou moins éternel. Ce côté immatériel universel me plaît beaucoup.

Dans une interview tu expliquais qu’il est important que toutes les œuvres artistiques faites par des femmes ne soient pas analysées uniquement par le prisme du féminisme. Quel est ton point de vue sur le combat des femmes dans l’art ?

Je pense qu’il y a un combat monumental à mener et je me réjouis qu’il soit si bien mené aujourd’hui. Une sororité incroyable se met en place et c’est très encourageant. J’ai simplement peur parfois du poids qui peut incomber sur une personne queer, femme, racisée qui décide de faire de l’art sans forcément véhiculer uniquement la lutte liée à son identité d’appartenance. On peut être une artiste photographe femme sans parler seulement de féminisme. Bien sûr que si tu es une femme queer algérienne ton art va être inspiré par cela. Mais cela ne veut pas dire que tu as une responsabilité automatique à créer une forme finale qui parle de ça.

Cela a beaucoup à voir avec un sujet qui m’intéresse dernièrement et qui est très présent sur Instagram : l’ « artivisme ». On demande aux artiste non seulement d’être artistes mais aussi de devenir les meneurs d’une cause collective. On demande de s’engager, de donner, de s’impliquer : on ne peut pas vraiment être artiste et activiste dans sa sphère privée. En France c’est très présent au moins depuis les Dada. Mais ces prises de positions sont un peu trop imposées à l’artiste aujourd’hui. Est-ce qu’on en demande autant aux artistes hommes blancs cis ?

© Charlotte Fos
Comment as-tu vécu la crise culturelle liée à la pandémie ? Comment remédier à la précarité des artistes qu’elle a engendré et qui était présente bien avant ?

Toute proportion gardée, je trouve que cette crise a aussi été bénéfique. Des discussions sur notre condition se sont mises en place et il y a eu un vrai ras-le-bol du système culturel tel qu’il est. Une grande solidarité est née de cette pandémie.
Il faut aussi dire que les free lance et les artistes étaient déjà habitués aux passages à vide, à gérer psychologiquement de telles angoisses. Donc par rapport à des amis salariés, je l’ai peut-être mieux vécu. J’étais armée pour faire face à cette solitude, cette précarité. Nous, les artistes, nous sommes les pires lotis dans la chaîne de l’art : les institutions et les commissaires sont beaucoup mieux traités que nous. Notre statut est mis à mal constamment. Par exemple, on est les seuls à qui on réclame de ne pas être payés : pour nous, c’est un honneur d’être exposés et on devrait se contenter de cela. Le Covid a eu bon dos : ça a été une excuse parfaite pour nous dire qu’à cause des coupes budgétaires on ne pouvait pas nous payer, alors même que les institutions recevaient des aides.
Néanmoins, je trouve qu’on est en train de mettre un stop à tout cela. Nous essayons de mieux repartir les ressources au sein de la chaîne : les artistes réfléchissent à des nouveaux formats de monstration et de vente, de communication, de médiation. C’est excitant de repenser l’aspect économique de l’art.

Quels sont tes prochains projets ?

LIVE WILD va continuer encore deux ou trois ans. J’ai d’autres projets de livres en cours qui seront publiés avant. Ensuite, j’aimerais peut-être travailler avec un alias d’homme. Je veux voir un peu ce qu’il se passe dans ma carrière en choisissant une identité masculine.

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Camille Lévêque
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Source : LIVE WILD

 


 

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