Avec son travail photographique engagé et recherché, Armony Dailly aborde sans complexes les tabous culturels liés au corps des femmes : de la grossesse aux règles, en passant par le poids, rencontre avec une artiste qui a fait de l’image son arme de combat. (Photo d’ouverture : © Armony Dailly)
Dans ses argentiques lumineux aux ambiances feutrées, Armony Dailly célèbre le corps des femmes sans filtres. Des règles à la grossesse, en passant par la grossophobie, la jeune photographe brise des tabous culturels en ouvrant des nouvelles voies inspirantes pour l’art photographique. Et elle dresse un constat optimiste de l’état de la photographie au féminin en 2020, malgré les réactions énervées de certains internautes face à son travail. Rencontre.
Quel est ton parcours photographique ?
J’ai commencé naïvement la photographie à 15 ans, sans savoir vraiment ce que je faisais. Cette obsession a duré toute mon adolescence et j’ai voulu faire des études en lien avec la photo. Malheureusement, les formations étant trop chères, je suis rentrée en fac de cinéma, ce qui au final, m’a apporté une esthétique cinématographique dans mes clichés. En parallèle de mes études, j’ai appris seule à me servir d’appareils numériques, mais surtout argentiques.
Quelles sont tes inspirations principales ?
J’en ai énormément. Mes inspirations me viennent beaucoup de mon adolescence. Je passais beaucoup de mes week-ends devant mon écran, pensant m’ennuyer, sur Tumblr ou encore devant le magazine en ligne Rookie Mag. Pour en citer quelques-unes, j’y ai découvert le travail précieux de Petra Collins, Olivia Bee ou encore Arvida Byström. Leur esthétique oscillant entre violence et douceur pour parler de l’adolescence et de la féminité me parle encore aujourd’hui. Pour ce qui est des photographes moins contemporaines, Nan Goldin et Corinne Day sont de grandes icônes à mes yeux.
Dans tes photos tu mets en avant surtout des femmes, leur corps, leurs différentes morphologies. Qu’est-ce que tu as envie de transmettre à travers ce travail engagé ?
Dans mes photos j’essaie vraiment de transmettre le regard bienveillant que je porte sur les femmes. On vit dans un monde complètement fou, où le corps des femmes est constamment censuré. Elles doivent encore en 2020 se justifier par rapport à leur physique. Il faut être sexy mais pas trop non plus. Mince avec un ventre plat, tout en ayant un bonnet conséquent dans le soutien-gorge et des fesses bien rebondies, en évitant d’avoir de la cellulite, des vergetures et des poils. Cette image marketing de “la femme” est à la limite du surnaturel. Certes, les mentalités ont pas mal évolué ces dernières années, mais pas assez à mon goût.
Maisie Cousins, une photographe que j’adore a dit cette phrase que je trouve super inspirante et très dé-culpabilisante : « Nos corps sont des entités vivantes, gluantes, qui respirent…Nos corps ne sont pas des objets polis. » Mon but est vraiment de montrer que les femmes sont des sujets et non des objets.
Penses-tu que la photographie peut faire évoluer les mentalités par rapport par exemple à la grossophobie ?
Complètement, plus on montrera des morphologies différentes dans les images, plus il y aura une facilité à s’identifier et ainsi lutter contre les discriminations. Nous vivons dans une ère où l’image est une arme puissante car elle est omniprésente dans le cercle public et privé. Il est important de montrer dans nos photos des personnes “normales” et non retouchées, et aussi d’arrêter d’appeler des personnes faisant du 42 “grandes tailles”, c’est ridicule. J’espère vraiment qu’un jour nous arriverons dans une société où “gros” ne veut pas dire “moche”.
Pourquoi vouloir photographier les femmes enceintes ? D’où te vient cette idée ?
Ca fait longtemps à présent que je suis fascinée par le corps des femmes. La capacité de leurs corps à se transformer, lors de la puberté, de la grossesse ou encore de la ménopause. A toujours s’adapter quoi qu’il arrive. Je trouve ça captivant ! Dans notre culture, on a réduit le genre féminin au « sexe faible ». Je trouve au contraire que nous sommes des guerrières. Par exemple, si on pense à la grossesse, porter un enfant à l’intérieur de soi pendant neuf mois, tout en tentant de vivre une vie normale, avec tous les problèmes hormonaux et physique que ça peut apporter, c’est complètement dingue.
Dans ton travail tu as aussi beaucoup abordé la thématique des règles (notamment pour Vice France) : quelles ont été les réactions du public par rapport à ça ? A la mise en scène du sang menstruel ?
Il y a eu pas mal de réactions assez démesurés, mais en vrai je n’ai pas été surprise. Les opinions ont été assez fortes des deux côtés : soit on me disait que c’était dégueulasse, trash et qu’il fallait absolument cacher ça, dans les commentaires on m’a traitée de « féminazie » et j’en passe…Et d’autres personnes au contraire, ont trouvé ça extraordinaire et libérateur de montrer en photo les menstruations en commentant par exemple “vive les règles”.
C’est un sujet qui ne laisse pas indifférent et je trouve cela un peu triste. J’ai hâte qu’on puisse banaliser la vue du sang menstruel, ce n’est ni moche, ni beau. Je pense qu’on devrait plus se concentrer sur comment trouver des méthodes pour soigner l’endométriose, lutter contre la précarité menstruelle ou encore savoir vraiment ce qui se cache dans les éléments de composition d’un tampon pour éviter que d’autres filles ne meurent d’un choc toxique. Quoi qu’il arrive, je pense que je ne cesserais sûrement jamais d’aborder la thématique des règles. Plus le corps des femmes cessera d’être tabou, plus elles pourront reprendre le contrôle sur elles-mêmes. Les règles, c’est politique.
Quel est ton constat de la place des femmes dans le milieu de la photographie en 2020 ?
Je suis super optimiste. Les femmes dans la photographie prennent depuis de nombreuses années de plus en plus les rennes derrière l’appareil photo et on les valorise beaucoup plus. Elles deviennent de plus en plus mentor et non plus muses passives. Il y a énormément de femmes photographes extrêmement talentueuses, venant de tous les continents qui créent une nouvelle scène photographique.
Tes prochains projets ?
J’ai en tête de mettre en scène un projet photo autour de la puberté adolescente aux ambiances de teen movies et films d’horreur, mes deux genres cinématographiques préférés.
Je veux aussi me concentrer davantage sur des choses qui sont généralement cachées ou considérées comme tabou dans le corps des femmes, que je n’ai pas encore exploré dans mes photos.
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Source : Cargo Collective
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