Nous sommes champions du monde, c’est entendu, du sport le plus planétaire qui soit. Nous le savions, Bruno Mazodier l’a vu. De ses voyages qui l’ont conduit aux quatre coins du monde, il a rapporté des images d’enfants, d’adolescents, ou de jeunes adultes jouant au football sur une plage, un terrain pelé, ou dans les prés de Côte-D’or en soutane… Le foot est la religion la plus partagée. Conversation avec le premier de ses disciples. (Photo d’ouverture : © Bruno Mazodier)
Comment vous est venue cette idée de livre autour du foot de rue ? Est-ce un hommage à votre enfance ou une volonté de réunir sous un même pavillon, ces enfants du monde entier passionnés de foot ?
C’est un croisement des deux ! Je me suis rendu compte que partout où j’allais pour mes reportages il y avait toujours des enfants ou des adolescents qui jouaient au foot quelque part dans la rue! Moi aussi, je jouais comme eux en bas de chez moi quand on avait fini les cours… je n’ai jamais joué sur un terrain officiel. Alors oui quand j’ai vu j’avais pas mal d’images sur ce thème, ça fait tilt dans mon esprit.
Vos images couvrent une dizaine d’années (2008 à 2017). Quand avez-vous eu l’idée de faire ce livre ?
Il y a 4 ou 5 ans… au moment où je me suis rendu compte que j’avais pas mal de matériel.
Vous couvrez tous les continents sauf l’Océanie…
Je ne suis allé que de rares cas en Australie. Et à l’époque, là-bas, le football n’était pas aussi commun qu’aujourd’hui. Les Australiens jouent davantage au cricket… C’est un sujet que j’aurai pu continuer et j’aurai certainement ajouté des pays comme celui-là. Mais il a fallu s’arrêter ! Ce qui m’intéressait c’était le football des origines, celui d’où viennent finalement tous les grands joueurs d’aujourd’hui. Et puis c’est un sujet super photogénique, universel, qui parle à tout le monde !
Vous avez photographié les enfants des favelas du Brésil comme les séminaristes de la Fraternité St-Pie X à Flavigny-sur-Ozerain (Côte-d’Or)… Quel écart !
Oui… c’est ma sœur qui habite à côté qui m’a dit que tous les week-end, elle voyait des séminaristes en soutane jouer dans les prés ! Cela a attisé ma curiosité ! Je leur ai juste demandé si je pouvais venir les photographier… Bien sûr, ces images sont différentes, mais ses images rentrent tout à fait dans la construction du livre et font parfaitement écho à celles des favelas. Si vous regardez bien, les photos des favelas montrent un Corcovado qui se détache sur un fond de ciel. Elles précèdent celles où un séminariste montre le ciel de son index qui elle-même précède un autre séminariste qui court après la balle comme les bras en croix ! Il y a une correspondance totale entre ces images !
Il n’y a pas beaucoup de filles qui jouent au foot dans votre livre ?
Il y en a qu’une seule et c’est surreprésenté ! Je veux dire qu’en réalité, il a fallu que je fasse 200 photos pour voir une seule fois des filles jouer ! Ce n’est pas du tout un choix de ma part ! En fait, ce n’est arrivé qu’une seule autre fois… aux Maldives. Mais quand j’ai commencé à prendre des photos, elles se sont arrêtées et les garçons les ont remplacées. Mais il y a très peu de filles qui jouent au foot de rue…
Football Dreams est un livre que vous avez auto-édité… Pourquoi ce choix ?
Avant toute chose, j’ai toujours adoré les livres de photographes et l’objet livre lui-même. J’ai toujours aimé l’idée de regrouper en un ensemble cohérent une série d’images… je n’aime pas vraiment les images isolées… J’avais déjà fait un livre en 2005 sur le bassin d’Arcachon (Traces, Regards sur le bassain d’Arcachon, C. Bonneton éditeur) qui avait été publié traditionnellement. Je m’étais rendu compte qu’il fallait laisser la main à l’éditeur… C’est lui qui décidait des couleurs, du choix de la photo de la couverture, etc. Cette fois-ci, j’ai voulu garder cette main sur l’ensemble du processus et faire le livre que je voulais. Et je ne regrette pas du tout. J’ai appris un tas de choses : notamment sur la façon de séquencer les images. Comme ce n’est pas un reportage, il n’y avait pas de récit, de narration à proprement parlé ! Donc la construction devait se faire par association, par la forme essentiellement. J’ai traité les images par couleurs… je commence le livre par des teintes ocres, chaudes puis les tons froids pour se terminer par les verts. Il me fallait une transition douce, je ne voulais pas de cassure dans le choix des couleurs.
D’ailleurs cette vision m’a permis de réaliser assez tôt qu’il me manquait des gros plans ou des verticales… J’ai pu rectifier en cours de route ! J’avais le souci qu’on ne s’ennuie pas en lisant le livre… le foot c’est avant tout un jeu ! Il fallait que cela se ressente, qu’il y ait des changements de rythmes et de distances dans les plans !
Vous avez dit plus tôt que vous aimiez les livres de photographes… en avez-vous un auquel vous avez pensé pour Football Dreams ?
Oui… Il s’agit d’un livre iconique ! Exils de Joseph Koudelka, paru chez Delpire… Je ne veux pas me comparer bien sûr, bien sûr ! Mais c’est un livre modèle pour moi. D’ailleurs, Xavier Barral a publié en 2017 Fabrique d’Exils qui raconte justement, le processus de fabrication du livre… C’est très intéressant de voir le dialogue qui s’enchaîne entre photographe et éditeur, la construction, l’ordonnancement des images. Il y a d’ailleurs eu plusieurs versions de Exil.
Comment avez-vous travaillé ?
J’avais à mes côtés Germain Gilbert qui est Directeur artistique qui m’a beaucoup aidé. On ne peut être seul avec ses images… c’est impossible.
Votre travail s’échelonne sur 10 ans… quelle est votre plus belle rencontre ?
En fait, quand je vois une partie se jouer, je m’approche… je commence à faire des photos… Les regards sur le terrain se croisent… et il y a un accord tacite entre les joueurs et moi. Un accord sans mot, sans parole. Les joueurs peuvent faire les malins au départ mais après, ils m’oublient… je m’en vais avant la fin du match… je n’interfère jamais…
Selon ce que vous avez vu, la ferveur autour du foot est-elle différente d’un pays à l’autre ?
Non pas vraiment, je ne crois pas… Ce que j’ai vu, c’est que pour les enfants, le foot c’est hyper joyeux ! Cela permet de s’évader, d’échapper à l’ennui… comme au Groenland où il n’y a rien à faire. Au Brésil, je voudrai croire que c’est un moyen de pacification entre favelas… puisqu’on y a construit des terrains pour que les jeunes y jouent. Jouer au foot, c’est aussi le moyen de construire quelque chose en équipe ! C’est ça qui peut construire ces enfants !
NDLR : Pour des raisons d’indisponibilité d’exemplaires presse, il ne nous a pas été possible de voir ou de feuilleter le livre de Bruno Mazodier. Seule la version PDF nous a été envoyée. Nous ne pouvons donc évoquer la facture de l’objet lui-même. Toutefois, comme les images et le sujet nous paraissaient particulièrement éloquents, nous avons décidé, malgré tout, de publier cet entretien.
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