Nous avons rencontré Paco Boublard, le lauréat du concours Talents grainedephotographe.com 2017. Photographe humaniste et sociologue, il a photographié la communauté tsigane. Entretien. (Photo d’ouverture : © Paco Boublard)
Qui es-tu Paco Boublard ?
Un comédien de 36 ans. J’ai commencé la photographie lorsque j’en avais 18 ans. J’étais sans-abri. Je devais trouver de l’argent et j’ai volé un sac. Dedans, il y avait un tout petit appareil photo, mais vraiment minable. J’ai commencé à photographier les poubelles de Marseille, et de Paris. Et puis, j’ai photographié les personnes qui vivaient à côté : les sans-abri. J’ai ainsi réalisé ma première série de portraits : De l’autre côté du mur. Je n’ai jamais arrêté la photographie mais je me suis concentré sur ma carrière de comédien car il fallait bien vivre et nourrir mes enfants.
Que peux-tu nous en dire plus sur ton approche et ta pratique photographique ?
Je suis quelqu’un de naturel et j’essaye au maximum de pratiquer une photographie authentique. Je sais quand un regarde est vrai ou faux. Je pratique la photo noir et blanc car c’est le meilleur moyen pour moi de décrire la réalité. En noir et blanc, on va dire qu’il n’y a pas de publicité, pas de mensonge. Je photographie avec mon cœur, mon âme et mon vécu.
Je suis un baroudeur aussi. J’aime aller à la rencontre des gens. J’aime discuter avec les gens. Je suis encore en contact avec des personnes que j’ai photographié il y a plus de 10 ans maintenant. J’aime prendre le temps aussi. Je n’ai par exemple jamais pris une photo quand je sentais que ce n’était pas le bon moment ou que ma présence dérangeait. Un bon photographe doit être respectueux. La photographie permet de dépasser les appréhensions et autres sentiments de gêne et de timidité que nous pouvons parfois avoir.
Tu es aussi comédien, que t’apporte la photographie en plus ?
J’ai beaucoup appris sur la photographie à travers mon expérience de comédien, par rapport au cadre notamment. Ce que j’aime dans la photographie, c’est que ça ne bouge pas. J’aime me focaliser sur un instant précis. La photographie m’apporte de la liberté. Je ne suis pas en train de répondre à une commande d’un producteur. Dans les deux disciplines, j’aime faire plaisir aux gens, leur transmettre un sentiment.
Peux-tu nous parler de tes deux photos présentées au concours et exposées à la galerie Grainedephtoographes.com ?
À partir de 2012, j’ai démarré un projet photographique autour de la communauté tsigane. Je suis parti à la rencontre « des vrais gens » en France et en Europe de l’est : Roumanie, Yougoslavie et Tchétchénie. En 2014, pendant un mois et demi, j’ai vécu au sein du campement Tsigane situé à Saint-Denis – sous le périphérique, en direction de la Courneuve. J’ai construis des maisons avec eux, j’allais acheter du lait pour les gosses, je prenais la charrette et j’allais chercher du bois, j’allais faire de la ferraille.
J’ai pu assister à la préparation d’un mariage entre une jeune fille de 16 ans et un garçon âgé de 18 ans. Sur la photo, on peut voir le futur marié se faire couper les cheveux. À l’époque, quand j’ai commencé ce travail, il y avait une sorte de tabou autour des Tsiganes. J’ai voulu travailler autour de la peur des gens. S’ils vivent dans des conditions difficiles. Je pense aux infections, aux odeurs de lieux insalubres, aux angoisses liées aux arrestations. Les Tsiganes ont le sens du partage. Quand tu n’as rien, tu partages. Nous étions quinze sur un sac de pommes de terre. Je suis toujours en lien avec ce couple, il ont deux petites filles maintenant. J’ai d’ailleurs amené mes enfants au sein du campement.
La seconde photo a été prise à New York, dans le quartier du Bronx. J’ai assisté à une course de motos organisée entre des flics et des habitants du quartier. Je me suis placé au milieu de la rue, et j’ai attendu le bon moment. À la fin, j’ai même fait un petit tour de bécane.
Comment réagissent tes sujets lorsqu’ils voient tes photos ?
Ils sont très contents. Ils sentent que je ne suis pas là pour voler leur « âme » ou leur bébé. Je capte un instant. Certains veulent la photo tout de suite. À la fin de la journée, j’aime bien faire la « roulette » : je fais défiler toutes les photos devant eux et je ne garde aucune photos qu’ils ne veulent pas.
Concernant ta série sur les tsiganes, comment as-tu intégré le campement ?
C’est simple, je prends mon scooter et je vais dans les bidonvilles. Quand j’arrive, je leur dis : « Buenos Dias, my name is Stéphane » comme Stéphane dans le film Gadjo Dilo (l’étranger fou) – interprété par Romain Duris. Ils me répondent « Oh Stephane », voilà comment je fais. Quelques mots suffisent pour communiquer dans le monde entier : « Merci », « bonjour », « au revoir ». Quand on est poli, tout s’enclenche ! La langue n’est pas un problème : on peut parler avec le regard ou les gestes.
Petite anecdote. Un jour dans un bidonville de Saint-Ouen, il y avait un journaliste perché dans un arbre qui a commencé à shooter des enfants. Tout le monde l’a vu. Les habitants du campement l’ont laissé descendre, l’ont enfermé dans une baraque et lui ont pris son appareil photo. J’ai réussi à récupérer son appareil et à négocier. Il y a des façons de faire.
As-tu rencontré des difficultés en photographiant les Tsiganes ?
J’ai eu des difficultés matérielles. Des problèmes avec mes batteries, du fait de l’accès limité à l’électricité…
Quelle est la place d’Instagram dans ta pratique photographique ?
Malheureusement, je suis peu présent sur les réseaux sociaux. J’ai toujours été dans le relationnel pur : parler pour de vrai, en face à face. Je ne suis pas assez ouvert sur ces nouvelles pratiques. C’est un de mes défauts. Je n’aime pas forcer les choses et chercher les vues. Je préfère être découvert plutôt que de démarcher. Je préfère lire des livres à mes enfants le soir plutôt que liker des photos et envoyer des invitations. Je ne suis pas assez égocentrique pour être sur Instagram. J’ai créé mon compte pour le concours.
Quel boitier utilises-tu ?
Canon 7D avec l’objectif de base. J’aime les contraintes et je trouve qu’avoir accès à une multitude de focales facilitent trop les choses !
Qu’est-ce que t’as apporté ta participation au concours ?
Déjà, il m’a permis de montrer mon travail. Il m’a apporté de la reconnaissance, de la confiance et de la détermination. Beaucoup de sourires aussi. Il m’a permis de réaliser que j’ai envie et besoin de me concentrer sur mes projets photos. L’avenir appartient à celui qui croit à la portée de ses rêves. Mon rêve est de faire les plus belles photos du monde et de signer « l’inconnu ».
Quels sont tes photographes-modèles?
Au-delà des grands noms tels que Cartier-Bresson, j’aime beaucoup le travail de Jimmy Nelson. Un photographe qui est parti à la rencontre des peuples oubliés.
Que vas-tu faire de ton nouveau boîtier Lumix G80 ? (prix du concours Talents grainedephotographe.com 2017)
Je vais réaliser 365 portraits de femmes résidant en Seine-Saint-Denis. La série s’intitulera Les Halls de mamans. En fait, je veux remplacer les jeunes des quartiers par leurs mamans. Je pense qu’il faut redonner la place de leader à la femme.
J’ai deux autres grands projets en tête. Avec Un oeil sur le monde, je prévois d’ aller à la rencontre d’enfants et de personnes âgées dans des pays pauvres, d’en réaliser un portrait et de les faire dessiner. Enfin, je trouve l’appel à la prière dans les pays arabes sublime et je veux en faire une série, Eden.
Découvrir le travail de Paco Boublard : son compte Instagram
Infos pratiques
Talents grainedephotographe.com 2017
La Galerie grainedephtoographe.com
14 quai de Bethume
75 004 Paris
Du 19 mai au 19 juin 2017 – ouvert du lundi au vendredi de 10h30 à 18h30
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