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Lense

Portrait de photographe – Bernard Plossu / Plossu Paris

De 13 à 73 ans, de 1954 à 2017, Paris défile sous les yeux d’un seul homme. Un trajet en bus qui dure depuis 60 ans parfois interrompu par quelques flâneries guidées par le hasard ou les souvenirs…Voilà ce que proposent Bernard Plossu et les éditions Marval Rue Visconti dans ce magistral Plossu Paris. A l’occasion de la sortie du livre, nous avons rencontré le photographe pour une conversation à bâtons rompus autour du corps du photographe, des cravates de Albert Cossery, et des sunday à l’abricot du drugstore des Champs. Magistral… C’est le mot.(Photo d’ouverture : © Bernard Plossu)

Plossu Paris – © Bernard Plossu
Vous présentez ce livre comme étant un sans faute…

Oui, je trouve qu’il n’y a pas d’erreurs. Il y a toujours une page où on s’est trompé de photos, une page qu’on a mise trop grande ou trop petite… chaque livre a toujours l’historique d’une erreur ou deux. Et là, je ne l’ai pas trouvée. Tout cela est le résultat du travail de Juliette Gourlat (la patronne de la galerie et maison d’édition Mouvements – Rue visconti, NDLR) ! Elle a tout fait ! Ce qui me sidère, c’est que ce livre est le résultat du travail d’une personne. Juliette… elle est à la fois, rédactrice, secrétaire, directrice, correctrice, maquettiste… Elle fait tout ! Elle m’a aussi supporté avec beaucoup de patience, car je n’arrête pas de changer des trucs… le résultat est étonnant.

Combien de temps a duré ce projet ?

Oh au moins deux ans… c’est gros ! Il a presque 500 pages et plus de 450 images !

C’est votre premier livre sur Paris ?

Oui… Euh non ! J’en ai fait un en 1985-6 ou 7 avec Régis Durand qui s’appelait Chronique du Retour paru chez Artgraphie… Comment revenir du désert et se retrouver dans le métro à Paris, après une dizaine d’années passées loin loin. C’était un tout petit livre… il y avait 25 photos.
Puis, pour un éditeur grec, Eric Auzoux avait fait un livre d’une dizaine de photos sur Paris. Mais le premier livre complet, c’est celui-là ! On frappe fort, car c’est carrément énorme…

Place de l’Etoile, Paris 8e, 1954 – © Bernard Plossu
Paris est un sujet très photographié… Cela fait-il longtemps que vous vouliez rassembler toutes vos images sur Paris ?

En fait, j’ai attendu… On a commencé à en parler avec Juliette… Du coup, je suis retourné dans des endroits en apparences très très banal… ça peut être, avenue Foch, une après-midi de semaine et un cycliste passe. Ça peut-être vers le Sacré-Cœur à six heures du matin avec une balayeuse. En fait, je suis retourné dans des endroits que l’on croit connaître… je suis même allé au drugstore en haut des Champs-Élysées boire un sunday à l’abricot et là il est passé une voiture, un bus avec l’Arc de Triomphe derrière… la photo y est… C’est une photo très cubiste qui est forte ! Mon idée c’était de faire des photos fortes dans des lieux où c’est impossible de faire des photos fortes !

Vous avez réussi ?

Je crois que oui ! Je ne dis pas ça en étant prétentieux… mais le côté sans faute me paraît évident… On s’y promène… J’ai déjà vu des amis le feuilleter… Et les gens se promènent… Ils sont heureux de vivre en le regardant… C’est étonnant…  Une de vos collègues, qui est libanaise, a été toute surprise de voir qu’il y avait une mosquée au Parc Montsouris il y a trente ans… Elle servait de centre de météorologie… On se promène à la maison de Balzac, devant la maison de Delacroix, de Roger-Viollet… On va au muséum d’histoire naturelle… Au musée Zadkine, devant l’immeuble où habitait Simone de Beauvoir… C’est historique… La Bellevilloise, les louveteaux… (il n’y a plus de louveteaux), l’hôtel du Nord. Je vois bien que les gens se promènent en le regardant… Et ils disent « ah tiens, je connais »… C’est un livre sentimental… Je n’ai pas vu quelqu’un le regarder sans avoir un petit coup de cœur dans le sens « oh tiens, je reconnais Paris »… C’est en fait, ce que je voulais, que les gens s’y retrouvent…

Gare de Lyon, Paris 12e. 1978 – © Bernard Plossu
Est-ce un livre sentimental aussi pour vous ?

Oh oui, complètement ! C’est la ville où je suis tout le temps revenu… Et malgré tout, je n’y reviendrai pas pour y vivre ! J’adore y revenir, j’adore flâner, j’adore marcher… Je ne sais pas si je serai aussi heureux si j’y vivais… Je ne suis pas sûr. De toutes les façons, je ne sais pas où vivre. Ça va vous paraître complètement fou, le drame de ma vie, c’est que je ne sais pas où être enterré… Je ne sais pas. Je viens de perdre sept amis qui ont mon âge donc j’y pense tout le temps. Il n’y a pas un matin où je me réveille où je ne pense pas à la mort… Je ne sais pas d’où je suis. Et finalement, là d’où je viens… c’est Grenoble… Le seul truc qui me tenterait, c’est un petit cimetière de montagne.

Plus que la mer… où vous vivez ?

La mer, je m’en fous ! J’y ai vécu toute ma vie. Maintenant j’habite devant. Mon sang est montagnard même si j’ai une tête de métèque méditerranéen… J’ai passé une vie entière au bord de la mer mais je ne la vois même plus… Le seul cimetière au bord de la mer qui me tenterait c’est Port-Cros mais il y a dix tombes…

D’ailleurs, je suis rentrée dans votre travail par les images de Port-Cros, Porquerolles…

Ah c’est vrai ? Pourtant le livre sur Port-Cros n’a eu aucun succès… Il n’y a jamais eu un article, ni un coup de cœur. L’éditeur en a vendu 50 ! (Image en manœuvre, 92 p, 1999, NDLR)

Ce sont pourtant des images qui sont extrêmement émouvantes…

Et pourtant, ça n’a pas marché ! C’était à la fois trop simple pour les gens branchés, et à la fois trop joli…  A Porquerolles, , j’y allais avec mon copain le dessinateur Alain le Saux… On était les deux seuls à pieds l’été traversant l’île. Aujourd’hui, il y a du monde… Mais pas autrefois.. On marchait, on arrivait sur des plages sauvages… Je ne peux plus y aller pour ça : il y a trop de fantômes, et aussi parce que je n’ai pas envie de voir des gens arriver en hélicoptère. C’est devenu un truc d’élite alors que ce n’était pas la vocation première. Ce n’est pas la même chose en Bretagne… Il y a des îles chics et des îles pas chics… Par exemple, Molène est restée beatnick alors qu’à Bréhat, il n’y a que des avocats…

Bois de Boulogne, Paris 16e 1967 – © Bernard Plossu
Vous avez des fantômes dans Paris ?

Oui… Je n’ai plus envie d’aller au Père-Lachaise, car j’y ai enterré plusieurs amis… La dernière fois, pour arriver à me battre contre l’émotion, je suis venu deux heures en avance et j’ai marché. C’est là que j’ai fait les deux photos de Balzac et Delacroix… Car pour moi, il n’y a que un seul écrivain en France, c’est Balzac, basta. Et du coup, en cherchant leur tombe, je les ai trouvés, j’ai pu conjurer le chagrin. Par contre, je ne peux pas rester au moment où les gens sont incinérés.. Je n’y arrive pas. Moi, je ne veux pas être incinéré…

Qu’est-ce que vous aimez à Paris ?

J’aime tous les quartiers, j’aime tout !

Ah c’est simple…

C’est-à-dire que Paris est merveilleuse en autobus… En autobus, on s’assied à l’arrière… On voit tout ! On voit toutes époques d’architecture. Alors je vois les quartiers changer… Les gens bougent… On voit bien les gens passer de tel à tel quartier… Mais moi, j’ai le souvenir de la poste dans le XIVe où c’était la photo de Doisneau, maintenant c’est une poste avec les trucs électroniques comme partout. Mais ça reste une ville où il faut flâner, où il faut avoir le temps.

Depuis la Tour Montparnasse, Paris 14e, 1963. © Bernard Plossu
Vous trouvez que Paris a changé ?

Ce n’est pas le décor qui a changé, ce sont les mœurs ! C’est vrai que maintenant pour traverser certaines avenues, il faut faire gaffe aux trottinettes, aux vélos qui ne respectent rien… Les vieux comme moi, on n’est pas habitué à ce qu’un vélo nous fonce dessus… Il faut passer son temps à regarder pour ne pas se faire renverser. Hier, j’étais dans le bus à 9h30 du soir, j’avais cinq voisins et les cinq ne regardaient pas Paris, ils regardaient leur tablettes, leurs téléphones… C’est ça qui a changé, ce sont les mœurs ! C’est quand même triste que dans le 21, qui est un bus qui passe par le quartier latin, les gens regardent leur foutu tablette… Ça, ça a changé !

Mais photographiquement, pensez-vous que Paris a changé ?

Non, il y a du moderne… c’est ce qui me plaît dans Paris, il y a toutes les époques.

Mais votre vision de Paris a-t-elle changé ?

Non, ma vision de Paris n’a pas changé… Même si les photos des années 60 sont déjà très datées. Pas les photos, pas le style mais on reconnaît les bus à plateforme qu’on ne voit plus maintenant. Ce sont les détails qui ont changé… Mais pas ma vision… C’est pareil avec mes photos d’Amérique, je ferai les mêmes maintenant. Je n’ai pas changé… Ce que j’aime bien dans Paris, c’est que c’est devenu plus multiculturel, ça c’est bien…

Paris, 1988 – © Bernard Plossu
Quelque chose est frappant dans votre livre, c’est qu’il y a très peu d’oiseaux…

Ah vous savez, c’est ma spécialité… Il y en a deux ou trois, on n’en a pas mis beaucoup… Le petit moineau de la gare d’Austerlitz, on a mis un pigeon place St-Sulpice… Oui, il y en a très peu… Mais il y a beaucoup de Parisiennes… C’est tout de même un des charmes de Paris… C’est très joli la dame qui se promène à Jacquemart-André, la dame qui lit au Palais Royal.. Pour moi, ça fait partie de Paris.

Avez-vous une photo favorite dans ce livre ?

Oui ! C’est mon fils grimpant la tour Eiffel ! Il n’y a pas d’hésitation… Il était mignon : il a bavardé avec le gardien, qui du coup a enlevé sa casquette, lui a donné… Il y a des photos de lui avec sa casquette et le gardien avec son chapeau… Le gardien était un vieux monsieur très vieux… Ils ont rigolé ensemble… Sinon en couleur, c’est le bus 21 avec la plateforme… Il n’y a aucune hésitation non plus… J’adorais les bus à plateforme… La rue qui défile… ding ding… Il faut vous dire que quand j’avais quatre cinq ans, ma panoplie… Les enfants ont des panoplies… C’était receveur d’autobus, j’avais toujours les doigts plein d’encre et je voulais être contrôleur d’autobus… Ça m’est resté !

En préparant cet entretien, et après la présentation du livre qui a eu lieu il y a quelques jours,  je me suis rendu compte que vous ressembliez à vos photos…

Oh, c’est joli ! On m’a jamais dit un truc aussi joli… Ça me rappelle, une fois j’étais en Amérique je donnais un stage en Arizona à des élèves et on est parti se promener. Un élève me dit : « Oh monsieur, vous dansez comme une danseuse »… c’est-à-dire, il m’a trouvé féminin… Ce qui moi m’a beaucoup plu car mon maître c’est Édouard Boubat, qui avait une vision très douce, très féminine, pas du tout macho… C’est la première fois que ça m’a fait réfléchir sur le fait que c’est en fait mon corps qui prend la photo au service de mon œil. Je ne crois pas que ce soit l’œil qui prenne la photo. Je crois que c’est le corps qui sait bouger. Un mauvais photographe ne bouge pas bien. Oui, je crois que mes photos ont ce côté féminin et je pense que c’est la raison pour laquelle, il y a beaucoup photos de femmes… Ce n’est pas un regard conquérant. Je le sais car c’est ma femme qui fait les tirages… C’est une vraie féministe pure et dure et elle m’a dit que mes photos de femmes étaient bien. Oui, je me reconnais dans mes photos comme je reconnaissais totalement Edouard Boubat dans ses photos et Cartier-Bresson dans les siennes. C’est un beau compliment, on ne me l’a jamais dit… C’est comme les cravates… Depuis, une dizaine d’années, je mets tout le temps des cravates parce que je suis allé voir l’écrivain égyptien que j’adore Albert Cossery. Et Albert Cossery est habillé comme Black et Mortimer. Je suis allé le voir deux fois et je me suis retrouvé devant un vieux monsieur en veste en tweed, cravate club, trench coat, extrêmement élégant… Cossery, c’était un des deux grands rebels de Paris… Les rebels de Paris, c’est Isidore Izou et Albert Cossery, ce n’est pas Sartre le rebel de Paris… Et depuis je mets toujours des cravates… C’est un hommage à Albert Cossery ! Je suis un dandy en hommage à Albert Cossery… Vous l’avez rencontré Edouard Boubat ? Il manque le gros livre d’interview d’Edouard Boubat car il avait des choses à dire. Tout ça c’est un peu en hommage à lui… Je suis sentimental.

Non, je ne l’ai pas rencontré… La photographie est sentimentale, non ?

Ah oui, complètement.

Comment avez-vous compris que la photographie c’était votre chose à vous ?

En fait, je suis devenu photographe lors de mon séjour à Ghardaïa quand j’avais 14 ans… c’était magnifique…  Il n’y a aucun doute la-dessus ! Plus tard, je me suis rendu compte que c’était le seul métier que je pouvais faire. Je crois que la chance de notre génération, c’est qu’on n’avait pas tout bien préparé pour nous… pas d’école… On devait gagner notre vie avec une photo publiée. On ne se prenait pas pour des artistes… D’ailleurs, je ne suis pas artiste, je suis photographe… Ce n’est pas une coquetterie de dire ça. On ne peut pas dire de soi que l’on est artiste, c’est aux autres de le dire…

Rue Liard, Paris 14e, 1967 – © Bernard Plossu
Mais si on vous dit que vous êtes artiste, vous le prenez ?

Je ne dis pas non, mais ce que je sens le plus comme sensibilité, c’est auteur… J’adore faire des livres… Et d’ailleurs à la sécu, je suis auteur-photographe… Ça me va bien, car je fais des livres comme des écrivains… Artiste, c’est un peu prétentieux… On ne sait pas si ce qu’on fait est de l’art ou pas… Si on commence à se poser la question, on se trompe. Il faut juste faire son truc… Moi, je suis truquiste, je fais mon truc !

Avez-vous une photo qui se détache dans votre panthéon personnel ?

Non.. Pas qu’une… Il y en a 15 au moins…  Il y en a trop…  Si…. Peut-être, mais c’est très personnel… C’est du grand Robert Frank… Les photos que j’aime de lui, ce sont ses photos de ses enfants… C’est là que je pense que l’on peut se surpasser. C’est dans un truc extrêmement personnel en apparence, le plus banal, qu’on arrive à faire une photo extrêmement moderne et universel et pas juste joli et sentimental… Il faut aller au-delà. Il n’y a rien de plus difficile que la photo d’enfants, de ses enfants. Il faut se surpasser pour ne pas faire que des jolies photos…

Références aux photos du livre
Le cycliste de l’avenue Foch est p.74, la mosquée du parc Montsouris est p. 187, Sartre est photographié à la volée p. 109, le petit moineau de la gare d’Austerlitz se trouve p. 200, le pigeon de la place St-Sulpice est p. 201, Balzac et Delacroix se font face pp. 280 et 281, le bus 21 (en couleur) avec la plateforme entre Cité Universtaire et Stade Charléty, Porte de Gentilly est page 321.


Plus d’informations 
Plossu Paris
Editions : Marval – Rue Visconti
448 pages
94 tirages Fresson couleur en quadri
360 tirages argentiques n & b en bichromie
18 x 21 cm / isbn : 978 8 86264 458 4
30 € environ

Un tirage de tête
Les 36 premiers exemplaires (3 x 12 ex.) qui constituent le tirage de tête, sont accompagnés d’un tirage couleur Fresson (13 x 18 cm) de Bernard Plossu, signés et numérotés par l’artiste.(3 tirages différents selon le n°)
30 ex. numérotés de 1 à 30
600 €
6 ex. hors commerce numérotés de H.C. I à H.C. VI

Galerie – Librairie – Maison d’édition
Mouvements – Rue de Visconti
4, rue de Rocroy – 75010 Paris

commentaire

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Il y a 6 ans

Bien sûr B.Plossu est un artiste, dont on peut trouver certains ouvrages aussi bien à la librairie de la MEP que dans les environs de la Galerie du Château d’Eau à Toulouse,ou l’on aime les flâneurs photographes.
Ancien étudiant parisien ,voici un super cadeau de noël que je vais essayer de me procurer au plus vite!
BP est pour moi une référence incontournable débordant le cadre des photographes « humanistes », tout en en gardant la filiation,comme le poéte-voyageur qu’il est;
Avec toute mon admiration et ma sympathie.

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