Après les Rencontres internationales de la Jeune photographie de Niort, Corinne Mercadier expose ses anciennes séries faites au Polaroid à l’exposition qui célèbre les 150 ans du musée Réattu… Avec beaucoup de générosité, Corinne nous explique que la mise en lumière de ses premiers travaux, est pour elle l’occasion de mesurer le temps et l’expérience parcourue. (Photo d’ouverture : Solo 2014 – © Corinne Mercadier)
Vous exposez vos anciennes séries faites au Polaroid de 1992 à 2008. date à laquelle s’est arrêtée la production des films pour le SX70, votre appareil de prédilection. Pourquoi les remontrer aujourd’hui ?
À Niort, ce sont mes photographies numériques récentes et les grands tirages d’après Polaroids des séries précédentes qui ont été montrées. En effet, les Polaroids originaux ont été rarement montrés, mais une trentaine l’a été à PhotoLondon en mai dernier. Cela vient d’une idée de la galerie Les Filles du calvaire qui souhaitait cette année y exposer des pièces uniques (que sont les SX70). En fait, l’exposition de Niort a été pour moi un point de départ pour regarder à la lumière de mon travail récent mes anciennes séries et mettre en évidence les sujets qui les unissent.
Pouvez-vous nous dire un mot sur la technique/dispositif qui est la vôtre pour ces polaroids ?
En fait, ma pratique avec le Polaroid dès le début des années 80, était de faire des photos de photos… C’est venu un peu par hasard. J’ai eu la chance d’habiter pendant deux dans un très beau mas du XVIIIe siècle en Provence qui était entouré d’un grand jardin avec un bassin. J’ai commencé à photographier ce bassin au rythme des saisons. Pour montrer le temps qui passe avec un même objet… Puis, j’ai continué en faisant des photos de cartes postales mais j’ai vite eu envie de réaliser moi-même les premières images, ce que je faisais au Leica.
Pourquoi prendre des images d’images ?
En fait, c’est une histoire de trace… Ce qui m’intéresse : c’est la perte de définition entre les deux photos. Sur l’image de l’image, tout semble s’aplatir… Et puis, j’aime les caprices du Polaroid… on ne sait jamais vraiment comment les couleurs vont apparaître ! C’est cette mise à distance que cela provoque qui me plaît. Pour moi, c’est comme un éloignement de la certitude du réel ; ça crée un espace poreux entre le monde extérieur et le monde intérieur.
Cela paraît complètement à l’opposé des images de vos dernières séries Le Ciel commence ici et Solo où vos images paraissent très abouties techniquement, où la postproduction prend une place prépondérante…
Oui c’est vrai, mais je me rends compte que ces Polaroids sont le berceau de tout ce que j’ai réalisé après. La différence entre Polaroid et numérique réside dans la texture et les couleurs parfois imprévisibles du premier. Ce qui les relie, c’est le rapport au hasard, matérialisé par les lancés d’objets présents dans mes images depuis 2000. La forme que prend un livre qui tombe, ou celle de la chevelure d’une femme qui court au moment du déclenchement tient totalement du hasard. Mais quel que soit l’outil de prise de vue, pour moi, les objets sont comme des idées sans mots, je les laisse me proposer des formes !
Comment travaillez-vous vos séries ?
Par l’editing essentiellement… L’editing tient une place énorme… Une série naît le plus souvent comme ça, lors de cette étape. Une fois que tout est dans la boîte. Il faut lors faire le tri, garder les images les plus fortes, et voir si elles ont la capacité de se lier les unes aux autres. Alors ça peut prendre l’aspect d’un diptyque, un triptyque, bref d’un ensemble. Je ne suis pas intéressée par l’idée de montrer une photo isolée. Je la considère plutôt comme le début d’une série à venir, à conserver pour plus tard. Certaines de ces images isolées, que j’ai faites il y a longtemps, me suivent toujours… J’ai d’ailleurs décidé de les montrer pour la première fois à Niort. Mon atelier a été reconstitué avec les images et les objets qui m’entourent dans mon lieu de travail.
C’est une démarche nouvelle pour vous, que de montrer votre intérieur ?
Oui, complètement. Je l’ai fait parce que les coulisses et la méthode de travail ont un intérêt mais aussi en tant que conseillère artistique auprès des huit jeunes photographes sélectionnés pour les Rencontres de cette année, qui ont accepté durant la résidence de quinze jours avec moi, de montrer leur processus de création. Ce qui revient à se dévoiler ou s’exposer… alors j’ai souhaité faire la même chose… comme un acte de bienveillance à leur égard…
Où en êtes-vous de cette série lumineuse Le Ciel commence ici ?
Elle est suspendue en fait. La mise en scène de mon atelier m’a permis de faire le point. Et de voir ce que j’ai fait depuis le début. Ce besoin correspond à un moment très particulier dans ma vie, puisque je viens d’arrêter l’enseignement des arts plastiques… Je souhaite mettre à plat ce que j’ai fait et pouvoir tout regarder en face. Voir ce qui est vivant !
Vous êtes surprise de ce que vous voyez ?
Quelquefois ! Je vois que dans mes Polaroids tout est là déjà : l’importance de l’architecture, les ciels obscurs… tout est là depuis longtemps ! En tout cas, ce recul me permet de prendre une nouvelle direction, de réchauffer des choses oubliées qui étaient en moi. Et qui sont encore en moi.
Plus d’informations :
Site photographe : http://www.corinnemercadier.com/
« 150 ans d’art au Reattu », Musée Reattu, Arles, jusqu’au 30 décembre.
Et une exposition collective à venir :
« Tous à la plage », du 29 juin au 31 août 2018 à Marseille à la galerie Un Cube au Studio Az
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