La prestigieuse fondation World Press Photo a donné son palmarès 2011. Et la photo qui a remporté le grand prix n’a pas fini de créer des discussions dans le milieu Photo :
Le portrait d’Aisha, jeune Afghane au nez (et oreilles) coupé par sa son mari Talibanpour avoir fuit un mariage forcé, par la photographe Sud-africaine Jodie Bieber, soulève deux débats.
…………………………
Le premier est ce que l’on pourrait appeler le « syndrôme Steve McCurry« , immense photographe entré au panthéon de notre culture visuelle pour ce portrait de Sharbat Gula (1985), dont le regard fera (et fait encore) le tour du monde.
A l’époque déjà, certaines voix s’étaient levées pour dénoncer une certaine « glamourisation de la guerre » : un beau visage innocent teinté de gravité, une pose plus qu’une photo prise dans le feu de l’action, rien de mieux pour attirer et impliquer le grand public.
D’un autre côté, c’est aussi une mission du Photojournalisme, non ? La question de la fin et des moyens est alors posée. Le couronnement du portrait d’Aisha 26 ans plus tard prouve que la formule reste d’actualité.
…………………………
Le second débat autour la photo de Bieber (aucun lien de parenté, on arrête tout de suite les blagues), c’est la récupération de l’image par le Time en Août dernier :
« Ce qu’il se passera si nous quittons l’Afghanistan »
En pleine politique de retrait des Etats-Unis sur deux conflits au Moyen-Orient (Afghanistan et Irak), cette couverture a rapidement scandalisé par son côté propagande brutale et surtout, sa récupération :
Le photojournalisme, souvent lié à la dénonciation des horreurs de la guerre, se retrouve soudain mis en tête de gondole d’une politique d’occupation militaire. Plus que paradoxal, amer.
…………………………
Et le prix des World Press Awards semble venir couronner et soutenir cette approche. Evidemment, la vie d’Aisha a été cauchemardesque, mais son utilisation et la surmédiatisation de son happy end, nous renvoient à la puissance des images qui, comme la science, sont des outils amoraux pouvant être utilisées à toutes les fins.
On pourrait ainsi reformuler la célèbre phrase de l’oncle de Spider-Man :
« With great pictures come great responsabilities »
Je vous laisse y réfléchir et vous renvoie à l’excellente analyse d’André Gunthert (via Vincent Glad), qui a largement inspiré cet article.
12 commentaires
Ajouter le vôtre[…] Debate sobre los premiados en el World Press Photo 2011 Share and Enjoy: […]
(Ok, picto éclair = lien, j’ai compris, enfin je crois 😉
« Ce qu’il se passera si nous quittons l’Afghanistan. »
= La photo de Jodie Bieber, 2009 — cf. story expliquée dans le billet.
« Ce qui se passait lorsque les soviétiques étaient en Afghanistan. »
= La photo de Steve Mc Curry, 1985 — les parents de la jeune fille aux yeux clairs ont été tués par les soviets, photo prise dans un camp de réfugiés au Pakistan.
Brillant.
—-
PS : à quoi correspondent les petits éclairs dans le fil de coms, à côté des pseudos ? 😉
un article en echo sur le photojournalisme via les photos de Damon Winter prise avec un iphone. On y retrouve un débat intéressant sur l’impact de la technique sur la forme, son influence sur le fond et la notion de retouche.
http://lens.blogs.nytimes.com/2011/02/11/through-my-eye-not-hipstamatics/
Petite update avec un article de Rue89.
nicodeux : c’est là que l’on mesure la complexité du photojournalisme dans son rapport à l’information et l’expression d’opinions.
Je ne peux m’empêcher de faire un parallèle avec ton précédent article sur le photojournalisme, Lâm : La profession de foi de Kenneth Jarecke. Les photos y dénonçaient la guerre dans toute son horreur, quitte à être polémiques, voire censurées.
Là, j’ai un peu l’impression d’assister à l’utilisation inverse et j’en suis nauséeux. Surtout quand on se rappelle qui a équipé les afghans en armes et les a formés aux techniques militaires il y a plusieurs années avant de les abandonner une fois la menace russe écartée.
Je ne pense pas que le choix du jury du World Press se soit fait dans l’optique de soutenir la même idée que le Time. En tout cas la justification n’allait pas dans ce sens.
Comme le disait David Burnett, ce n’est pas souvent qu’un portrait remporte le WP. Perso je m’attendais plus à la photo d’Olivier Laban Mattei, assez choc également, mais dans un registre plus traditionnel au WP.
Bah alors bob, tu as un soucis ?
Gilbert : oui, nous aurions pu en parler plus longuement, mais je pense que l’article original d’André Gunthert offre une une reflexion assez complète sur le sujet.
@Bob : je crois que pour tes attentes c’est plutôt par là : http://bonjourmadame.fr/ ^^
L’article est plutôt intérressant, il gagnerai même a être un peu plus développé !
Quel ennui …. Restez en a vos dissertations sur la photo culinaire.
[…] Ce billet était mentionné sur Twitter par Lâm HUA, lense, the ikid, Phot.Event13, Yann GOUGEON et des autres. Yann GOUGEON a dit: RT @lensefr: World Press Photo : un lauréat qui fait débat – http://bit.ly/eAAS4r […]
Bingo 🙂